«Les circonstances sont telles, pour le secteur du tourisme, qu’elles peuvent s’apparenter à une guerre .»
Bertrand Levy, spécialiste du voyage
«Le secteur du tourisme mettra du temps à se remettre de la crise du Covid-19 et il ne ressemblera plus à ce qui prévalait », lance Bertrand Levy, spécialiste du voyage et ancien maître de conférence à l’université de Genève. Comme cet expert, les acteurs du tourisme s’accordent à dire que la reprise sera en tout cas longue. Certains espèrent un retour de la clientèle à la fin de l’été 2021, quand d’autres pensent que cela prendra plusieurs années. C’est notamment le cas d’Anna Inaudi, directrice de l’agence de voyages culturels, Géo-Découverte. «Au-delà même des changements profonds, il y aura des réalités économiques qui empêcheront les gens de partir comme avant. Quant aux entreprises du tourisme, il faut savoir qu’elles ont travaillé à 80 % gratuitement depuis novembre 2019, puisque le travail a abouti à des annulation», explique-t-elle.
Un avenir noir
Un avenir bien noir pour une industrie qui paie déjà un lourd tribu de la crise sanitaire que nous connaissons. «Le secteur est obligé de se réinventer le plus vite possible pour subvenir aux besoins des clients, quand ceux-ci souhaiteront voyager à nouveau », reconnaît Dany Ferreira, directeur d’agence chez Kuoni Voyages, à Renens. Mais si ce jeune gérant reconnaît avoir subi une baisse de 90 % de son activité, il reste néanmoins confiant pour l’avenir. «Il est difficile de savoir à quel moment cela va arriver, mais nous sommes convaincus que nous avons les reins assez solides pour surmonter cette crise et retrouver la fréquentation d’antan dans notre agence», pronostique le jeune homme. Réaliste ou illusoire, rien ne semble pouvoir être pire que la situation actuelle. « Les circonstances sont telles, pour le secteur du tourisme, qu’elles peuvent s’apparenter à une guerre», résume Bertrand Levy.
Moins de tourisme d’affaires
Mais dans une guerre, il y a toujours un gagnant et un perdant. Il semble indéniable que le tourisme d’affaire soit le grand perdant et restera le plus impacté par cette crise. De nombreuses entreprises ont en effet annoncé renoncer à leurs voyages d’affaires. «Cette crise a permis aux entrepreneurs de se rendre compte que les vidéo-conférences suffisent », explique-t-il. Et c’est le tourisme de proximité qui devrait pouvoir tirer son épingle du jeu. «Outre quelques billets d’avions vendus par-ci, par-là, durant la courte reprise, nous avons surtout vendus des voyages en Suisse », témoigne le directeur de l’agence de Kuoni à Renens. Un signal clair pour la proximité, selon Bertrand Levy. « C’est une conséquence positive, car les gens vont pouvoir redécouvrir leur pays», se réjouit-il.
En toute hypothèse, les voyageurs prendront donc plus le temps de planifier leurs voyages et se distanceront d’un tourisme plus récréatif. Fini le temps des villages de vacances et des séjours au bord de la mer pour faire diversion du quotidien. Selon le maître d’enseignement genevois, le tourisme des années 70-80 va effectivement fortement se contracter. «Le tourisme de divertissement, qui avait connu un immense essor à la fin du siècle passé, décroît déjà depuis les années 2000. Et cette contraction va probablement continuer plus fortement après la crise , prédit-il.
Des changements profonds
De profonds changements sont donc à attendre de cette crise, mais le secteur du tourisme était déjà en pleine mutation. «L’industrie du tourisme ne va pas s’arrêter du jour au lendemain. Elle existe depuis des décennies et n’a jamais cessé de se réinventer au fil des années. C’est un secteur qui a toujours dû s’adapter à son époque et c’est ce qu’il continuera de faire», rassure Dany Ferreira, le voyagiste renanais.
En effet, et plus que jamais ces dernières années, le secteur touristique était mis au défi de changer ses habitudes. En cause: le tourisme de masse, dénoncé par de nombreuses associations de protection de l’environnement, par des collectivités publiques qui en ont eu assez de voir le déferlement de touristes dans les rues de leurs villes ou par des altermondialistes qui prônent une décroissance économique. Et puis, il y a le trafic aérien qui a commencé à être de plus en plus décrié ces dernières années. Les entreprises touristiques se préparaient donc à exercer de profonds changements dans leur profession. «Le problème c’est qu’au niveau mondial les chiffres ne partaient pas dans ce sens-là. Si la croissance s’était un peu émoussée au niveau aérien, il n’y avait pas de baisse observable des voyageurs», explique Bertrand Levy. Des propos que confirme le voyagiste renanais, qui n’avait remarqué aucun frein au voyage et même une augmentation du nombre de voyageurs ces dernières années. «J’ai bien remarqué quelques petits changements d’habitudes chez des personnes un plus sensibles à ce sujet, mais rien de suffisant pour observer un changement global», précise-t-il.