«Cette pandémie prouve que les Etats nous mentent»

Ancien professeur de l’université de Lausanne, Dominique Bourg est une figure de l’écologie contemporaine.

Pour le philosophe, l’épidémie de coronavirus est la conséquence de l’activité humaine qui, peu à peu, a détruit les écosystèmes.

La réponse des Etats à la pandémie prouve que ceux-ci détiennent une capacité à agir sur le réchauffement climatique mais ne l’utilisent pas.

  • Dominique Bourg, philosophe et ancien professeur à l’Université de Lausanne. VERISSIMO

    Dominique Bourg, philosophe et ancien professeur à l’Université de Lausanne. VERISSIMO

«Avec la pandémie, les politiques s’exposent à un risque de poursuites pénales. La différence avec le climat est là!»

Depuis le début des mesures prises par les Etats pour lutter contre le coronavirus, le monde entier a constaté une baisse de la pollution. Cette dernière traduit-elle une forme d’hypocrisie de la part des gouvernements qui se disent impuissants face au réchauffement climatique?

Complètement. Ils se moquent du monde et c’est idiot! Les Etats ont un pouvoir bien plus important que ce qu’ils veulent bien admettre. Ce confinement est une leçon. On sait maintenant qu’ils nous mentent lorsqu’ils disent ne rien pouvoir faire face aux changements climatiques.

Les Etats ont réagi de manière relativement rapide pour lutter contre le coronavirus. Comment expliquer qu’il n’en soit pas de même pour les questions climatiques?

En Chine, les autorités ont réagi très vite face à la pandémie. Alors qu’ici, pour que la Suisse et la France réagissent, il a fallu un nombre important de morts en Italie. C’est affolant. Si on avait laissé l’épidémie se répandre, il y aurait eu un nombre de morts inimaginables et les systèmes de santé n’auraient pas tenu. Les politiques s’exposaient donc à de nombreux risques de poursuites pénales. La différence avec le climat est là. Les conséquences du réchauffement climatique deviendront invivables d’ici 20 ou 30 ans, autant dire que les politiques s’en fichent car d’ici là, ils seront tous morts et n’auront plus à se soucier de ce qu’on pourrait leur reprocher.

Les politiques ne sont donc pas prêts à entendre cet avertissement?

Non. Pour moi, ces gens sont des idéologues qui sont en train de faire tout l’inverse de ce qu’il faudrait, ils ont une attitude totalement irresponsable. Prenez l’UDC par exemple. Pour eux, le réchauffement climatique n’existe pas. Il leur faudrait une épée de Damoclès au-dessus de la tête pour qu’ils réagissent. Ça a été le cas avec cette pandémie. C’est pour ça qu’il ne faut rien lâcher et j’espère vraiment que les jeunes qui se sont mobilisés jusqu’ici reprendront leur combat dès qu’ils le pourront.

Comment expliquer la crise actuelle?

La crise sanitaire que nous vivons actuellement résulte d’un problème écologique. C’est la conséquence directe de nos actes qui peu à peu, détruisent les écosystèmes. Nous avons connu ça au Néolithique lorsque certains animaux ont commencé à être domestiqués. Aujourd’hui, la contiguïté entre l’Homme et les animaux, de plus en plus importante, provoque la circulation des virus. Et la nature nous le montre: c’est bien la destruction de l’habitat de la chauve-souris qui a conduit à la propagation du coronavirus.

La suite, vous l’envisagez comment?

On ne va plus jamais être tranquilles au niveau sanitaire. Et le réchauffement climatique va continuer. On va commencer à manquer de nourriture, les problèmes sanitaires ne vont cesser de se multiplier les récoltes seront de plus en plus mauvaises. Dans certains pays, c’est déjà une catastrophe. Même si nous risquons d’assister à une augmentation du taux de chômage, on ne peut plus retourner au modèle économique suivi jusqu’ici, car on ne peut pas sauver une catastrophe par une autre. Et les milieux économiques ne cessent de profiter de tout ce qui est en train de nous faire mourir.

Un retour complet à la vie d’avant n’est donc pas envisageable?

Quand on voit les queues devant les soupes populaires en France, mais aussi en Suisse -l’exemple de Genève est parlant-, on se rend bien compte qu’avec le confinement tout s’est arrêté. Certains emplois subissent des baisses de revenus considérables. Je ne minimise en rien ces difficultés. Mais je ne pense pas que les difficultés économiques, car il va y en avoir, justifient un retour à la vie qu’on connaissait jusqu’à maintenant.

Propos recueillis par Valentine Corthay