Beaulieu: «Les signaux précurseurs 
de la débâcle se succédaient!»

Le fiasco Beaulieu vaut-il la création d’une Commission d’enquête parlementaire? Cette requête a été rejetée le  12 février dernier par le Conseil d’Etat, mais le plénum  des députés doit encore se prononcer.
L’enjeu: faire toute la lumière sur cette débâcle qui a coûté quelque 80 millions de francs aux collectivités publiques, alors que l’aspect pénal de ce fiasco vient d’être relancé par  le Tribunal cantonal.
Ancien haut cadre de Beaulieu Exploitation SA de 1987 
à 2011, Thierry Saunier estime nécessaire la création d’une telle commission. Il fustige une forme d’inaction coupable  de la part de ceux qui y représentaient le Canton et la Ville  de Lausanne.

«Le renflouage de 
80 millions de francs était un prix politique, censé faire passer 
la pilule auprès des Communes et 
du Canton.»

Lausanne Cités:Vous avez quitté Beaulieu il y a dix ans, pourquoi réagir aujourd’hui à cette décision du Conseil d’Etat? 
Je réagis aujourd’hui en tant que citoyen et contribuable, car je suis étonné, surpris et fâché par les recommandations du Conseil d’Etat faites aux députés de ne pas entrer en matière sur la création d’une Commission d’enquête. Le rapport du Conseil d’Etat relate parfaitement les faits, avant, depuis 1999 jusqu’à aujourd’hui et précise les directives et règles à usage interne, censés éviter que ce genre d’aventure ne se répète…
 
... Ce qui est plutôt positif, non?
Oui, mais insuffisant! Car derrière les faits évoqués, il n’y a personne, pas un nom, aucune responsabilité engagée, alors que 3 représentants du Conseil d’Etat et 3 de la Ville de Lausanne siégeaient à La Fondation Beaulieu et que plusieurs représentants de la Ville siégeaient pour leur part au Conseil d’Administration de la Société d’Exploitation, puis de MCH. Pourquoi avoir attendu 19 ans pour réagir à ce que j’appellerais «la chronique d’une chute annoncée»! Ces gens ne se parlaient-ils pas? N’avaient-ils pas une stratégie commune?
 
Une commission d’enquête pourrait donc, à vos yeux, déterminer des responsabilités précises…
Beaulieu, c’était depuis 2000 une hydre à deux têtes: la Fondation, financée par les Vaudois et propriétaire des murs, et la société anonyme, chargée d’exploiter et de faire vivre le site. Quand l’une allait à gauche, l’autre voulait aller à droite... Deux logiques opposées, qui ont conduit le site au naufrage, plutôt que de le booster. Et puis, il y a surtout la chienlit financière, arrivée en deux temps. En 2000, avec une capitalisation de 80 millions largement sous-estimée. Et en 2008, avec les promesses irréalistes de MCH, qui faisait miroiter de nouvelles activités et de nouveaux revenus. Plutôt que de créer de nouveaux salons, les Bâlois en ont fermé ou laissé partir. Balai neuf n’a pas balayé mieux…      
 
Une sous-estimation dites-vous, mais dans quel but?
Le renflouage de 80 millions de francs était un prix politique, censé faire passer la pilule auprès des Communes et du Canton. Suffisant pour effacer les ardoises du passé, mais insuffisant pour créer un site performant! On l’a jouée «petit braquet», alors qu’ailleurs, les pouvoirs publics ont investi davantage.
 
Ce qui expliquerait donc la reprise de l’exploitation du site par MCH?
MCH était un géant sur le plan suisse. Ses promesses de dynamisation du site ont été prises pour argent comptant par les politiques, qui ont cru pouvoir se désengager progressivement du site grâce aux revenus promis par les Bâlois.

Pourtant cette reprise n’a finalement pas servi à grand-chose…
Effectivement, le résultat  a été tout autre! MCH a laissé partir des salons à Genève, l’EPHJ ou plus récemment Swiss Expo, a demandé des baisses de loyer et fait montre d’une arrogance permanente, sans se soucier de faire corps avec l’économie vaudoise. La greffe n’a pas pris. La poule aux œufs d’or s’est transformée en locataire récalcitrant. Par contre, MCH Bâle a gagné de l’argent à Beaulieu. Les bénéfices pour le privé, les dettes et les charges pour les institutions publiques! 
 
Pourquoi, à votre sens, n’avait-on pas interrogé MCH plus tôt, voire cassé son contrat?
C’est une question clé, sur laquelle une Commission d’enquête pourrait précisément faire la lumière. Car le rapport du Conseil d’Etat n’y répond pas…
 
Reste que plusieurs signaux avaient été donnés dès 2013, avec des licenciements, des départs et des interventions au niveau politique…
C’est bien cela le mystère, la lenteur des politiques, qui étaient pourtant en contact direct avec les Bâlois. Les signaux précurseurs de la débâcle se succédaient, mais la seule réponse donnée, en particulier par l’ex-syndic Daniel Brélaz, c’était… «circulez, il n’y a rien à voir!». Résultat: entre 2011 et aujourd’hui, plus de 70 emplois sont passés à la trappe. Ils ne sont plus que 8 aujourd’hui! 

Puis est venue se greffer sur tout cela l’affaire du Secrétaire général de la Fondation Beaulieu, Marc Porchet, congédié sur-le-champ, et accusé de gestion déloyale et faux dans les titres. Un bouc-émissaire?
Je réponds par l’affirmative bien que je ne sois pas la «Justice» et  que le Tribunal cantonal vienne de réanimer l’enquête pénale à son sujet, mais des contrôles annuels ont eu lieu et il n’avait pas les pleins pouvoirs.

Si je vous comprends bien, toute cette affaire demeure aujourd’hui encore une nébuleuse. D’où cet appel à la responsabilité des politiques de faire toute la lumière, jusque dans les moindres détails?
Bien entendu! Les députés sont les derniers à pouvoir demander des explications au moyen d’une Commission parlementaire. D’ailleurs, beaucoup exercent aussi des fonctions de syndic ou de municipal dans des communes qui ont largement renfloué Beaulieu. C’est également dans l’intérêt des communes d’en savoir davantage.
 
Vous y croyez?
Je l’espère vivement pour le bon fonctionnement de la démocratie et pour pouvoir tourner la page en toute quiétude. Je le répète: il s’agit de beaucoup d’argent public qui, hélas, est perdu.