Animation socioculturelle: le jeu trouble de la Ville

Lors de sa séance du 28 janvier dernier, le Conseil communal a montré son soutien à l’animation socioculturelle en adoptant trois résolutions demandant à la Municipalité de trouver un accord qui fasse consensus. Problème: une ébauche de municipalisation est déjà en route. Elle a été présentée aux instances dirigeantes de la FASL et à la faîtière des associations, mais pas aux animateurs. Pour plusieurs personnes proches du dossier, la façon dont la Ville mène les négociations démontre une volonté de diviser plutôt que de fédérer.

  • La Maison de Quartier du Désert, un des 17 lieux d’animation de Lausanne. FASL

    La Maison de Quartier du Désert, un des 17 lieux d’animation de Lausanne. FASL

«Je crois que nous pouvons encore rattraper le coup, mais il faut que chacun fasse un pas»

Jacques-André Vulliet, président du Conseil de fondation de la FASL

Mardi 28 janvier dernier, le Conseil communal lausannois montre clairement son soutien à la Fondation pour l’Animation Socioculturelle Lausannoise (FASL) et aux animateurs de quartier en adoptant trois résolutions qui poussent la Municipalité à, d’une part, «prendre le temps d’explorer avec sérieux les alternatives à la municipalisation» de l’animation socioculturelle, d’autre part à construire une gouvernance, en collaboration avec les lieux d’animation, qui respecte les besoins de chaque quartier et laisse l’autonomie aux associations. Signe très clair du soutien du Conseil communal au milieu de l’animation. Ces résolutions ne sont toutefois en rien contraignantes pour la Municipalité. Cette dernière semble d’ailleurs mener si bien la danse que les animateurs en ont aujourd’hui le tournis et que beaucoup s’interrogent sur sa stratégie.

Un projet qui sème le trouble

La Ville chercherait-elle à diviser pour mieux régner? C’est en tout cas ce que laissent entendre quelques sources proches du dossier. Les autorités s’en défendent. Mais dernièrement, et alors que les discussions ont repris, une information arrivée aux oreilles du personnel a jeté le trouble, contribuant à maintenir, voire faire grandir, la grogne déjà présente chez les animateurs. La Municipalité aurait présenté une ébauche de projet de municipalisation à la présidence et à la direction de la FASL fin 2019 déjà, ainsi qu’à la faîtière des associations de quartier, le 10 janvier dernier. Municipal en charge du Département enfance, jeunesse et quartiers (DEJQ), David Payot confirme, tout en précisant qu’il s’agissait davantage «d’échanges de réflexions». La Municipalité a cependant omis de faire suivre ces réflexions au personnel de la FASL. Interrogé à ce propos, le Municipal explique: «Nous n’avons pas discuté avec eux de nos hypothèses de travail, car ils se sont déclarés clairement opposés à cette solution en séance, comme l’ont aussi montré la manifestation du 11 décembre et la pétition lancée à cette occasion».

Un double niveau d’information

A l’occasion d’une tournée des lieux d’animation qui commence dès à présent, la Ville souhaiterait entre autres questionner les associations concernant le projet de gouvernance auquel elles ont elles-mêmes contribué, avec la FASL. Si le personnel de la FASL peut être présent sur demande de l’association, l’invitation ne lui a pas été envoyée. Le bilan de la visite des lieux d’animation permettra à la Ville de proposer une nouvelle solution au mois de mars. Quant à la commission du personnel, elle sera rencontrée seulement fin mars. Ces éléments font dire à nos sources que la Ville maintient un double niveau d’information, destiné à diviser les troupes et exploiter les désaccords internes. «Je crois simplement que la Ville veut décider seule», analyse l’une d’entre elles.

Des interprétations divergentes

La Ville serait-elle devenue schizophrène? Dans ce contexte, il ne faut pas oublier que les statuts proposés par la FASL en septembre dernier étaient un travail effectué sur demande de la Ville. Mais il nous a été confirmé que celle-ci et la FASL n’étaient pas sur la même longueur d’ondes concernant l’interprétation de la demande municipale. D’où un manque criant de compréhension mutuelle, qui a certainement biaisé le processus dès le départ.

Pourtant, bien avant le clash de novembre (annonce de municipalisation suite au refus par la FASL des deux variantes proposées par la Ville), la Municipalité avait reçu les statuts élaborés par la FASL pour qu’elle y apporte ses demandes de modifications. Elle n’en avait exprimé aucune. «Elle était aussi au courant de tous les détails au fur et à mesure de l’avancement, certifie une source sûre. Tous les documents étaient transmis en temps réel et le travail était suivi par l’autorité de surveillance des fondations.» Les occasions ne manquaient donc visiblement pas pour exprimer un éventuel désaccord en cours de route.

Encore un espoir?

Le comité de la FASL vient dans tous les cas de travailler sur une sixième version des statuts, en modifiant deux éléments pour aller dans le sens des demandes de la Ville. «Nous avons fait tout notre possible et je ne crois pas à une autre piste», déclare Jacques-André Vulliet, président du conseil de fondation. «Je crois que nous pouvons encore rattraper le coup, mais il faut que chacun fasse un pas.»

Diviser ou fédérer? L'éditorial de Philippe Kottelat

C’est une affaire qui a fait grand bruit. Et qui continue d’en faire. Fin novembre dernier, la Municipalité de Lausanne annonçait qu’elle reprenait la mise en œuvre de l’animation socioculturelle dans les quartiers. Autrement dit qu’elle la «municipalisait», faute d’un accord sur sa gouvernance et son fonctionnement avec la Fondation pour l’animation socioculturelle lausannoise (FASL).

La nouvelle avait fait l’effet d’une douche froide. Mais la décision n’était, à vrai dire, pas surprenante. Entre la FASL et la Ville, les tensions existaient depuis longtemps. Elles avaient même débouché sur l’établissement de rapports qui pointaient d’importants dysfonctionnements. La Ville mettant 11 millions par année pour son fonctionnement, cette mésentente se payait donc cash.

Mais c’était sans compter sur les réactions de nombreux élus proches de la majorité municipale. Il y a une dizaine$ de jours, lors d’une séance du conseil communal, ils l’ont clairement pressée de trouver un compromis avec la FASL, arguant notamment qu’il n’est pas facile de dégager une «politique publique à partir de réalités qui se sont développées aux quatre coins de la cité, à des rythmes différents». Un message clair et sans ambiguïté, même s’il n’était en aucun cas contraignant pour la Ville.

Depuis, que s’est-il passé? Pas grand-chose. Si ce n’est quelques informations qui filtrent ici et là sur le rôle exact qu’elle a joué dans toute cette affaire (lire ci-contre). Elle aurait ainsi présenté une ébauche de projet de municipalisation à la présidence et à la direction de la FASL fin 2019 déjà, ainsi qu’à la faîtière des associations de quartier, le 10 janvier dernier. Mais rien au personnel! Pas une ligne, pas un mot. Une approche unilatérale du problème et un double niveau de communication qui laissent songeur. Volonté de noyer le poisson ou mauvaise gestion du dossier? L’avenir le dira!