5 femmes au Conseil d’Etat: historique, vraiment?

Avec l’élection de Rebecca Ruiz, le Conseil d’Etat comptera dès le mois de mai, 5 femmes sur 7 membres.

Cette large majorité est clairement une première pour le canton et pour tous les exécutifs cantonaux suisses.

Des élues et anciennes élues vaudoises portent un regard distancié sur un évènement de portée historique.

  • Le nouveau Conseil d’Etat vaudois. PHOTOMONTAGE LC/SIEBER

    Le nouveau Conseil d’Etat vaudois. PHOTOMONTAGE LC/SIEBER

«Ce n’est qu’un hasard, et j’espère que Mme Ruiz n’a pas été élue seulement parce qu’elle est une femme!»

Suzette Sandoz, ancienne conseillère nationale PLR

Elles sont désormais 5! 5 femmes au Conseil d’Etat, sur 7 membres au total. Du jamais vu dans un exécutif cantonal suisse! Suite au retrait annoncé par l’UDC Pascal Dessauges, la socialiste Rebecca Ruiz se retrouve élue tacitement au collège gouvernemental. Depuis 2012, déjà le Conseil d’Etat était à majorité féminine. Le voici désormais qui accentue fortement une tendance amorcée depuis des années. Seulement voilà, très paradoxalement, l’événement serait de portée historique alors que Rebecca Ruiz n’a pas du tout été élue parce qu’elle est femme. Elle l’a d’ailleurs probablement été en dépit du fait qu’elle est une femme, les Vaudois n’ayant eu aucune hésitation à l’élire tout en sachant que ce faisant, ils accentuaient la majorité féminine du gouvernement.

«Personnellement je déteste le terme d’historique se démarque ainsi Suzette Sandoz, ancienne conseillère nationale libérale-radicale et professeure d’université. Si par «historique» on entend que c’est une première, certes. Mais ce n’est au fond qu’un hasard, et j’espère que Mme Ruiz n’a pas été élue seulement parce qu’elle est une femme! A titre personnel, une majorité de femmes au Conseil d’Etat ne me fait rien du tout, car en tant que femme j’aime surtout être considérée comme une personne normale.»

«Pour moi c’est un non événement, réagit également l’UDC Anita Messere. Le sexe de l’élu n’a aucune importance, seule compte sa compétence, et à ce niveau de responsabilité, jouer sur la carte du féminisme est même dangereux, car il en va de notre feuille d’impôts et de notre qualité de vie!»

Un choix de compétences

Pour d’autres élues ou anciennes élues vaudoises, le terme n’est en revanche en aucun cas galvaudé. «Oui, c’est bel et bien historique, affirme Doris Cohen-Dumani. J’ai été longtemps la seule femme radicale élue au Conseil communal de Lausanne, donc je sais d’où l’on vient. Mais les Vaudois ont d’abord voté pour la personne qui leur paraissait la plus compétente, celle qui avait le plus de notoriété, sans se préoccuper de son sexe».

La conseillère nationale verte Adèle Thorens ne cache quant à elle pas sa satisfaction. «D’une manière générale, les femmes ne sont pas du tout représentées de manière équitable au niveau des instances dirigeantes, qu’elles soient politiques ou économiques! Alors bien sûr que c’est historique, du point de vue du fonctionnement même de notre démocratie! Les élus doivent être représentatifs de la diversité de la population. C’est pour moi un signe de bonne santé de notre canton».

S’il est un domaine où les femmes semblent unanimes, c’est bien sur le caractère pionnier du canton de Vaud, tout de même le premier à avoir accordé le droit de vote aux femmes il y a 60 ans. «Déjà habitués à une majorité féminine au gouvernement, les Vaudois font preuve de plus de maturité sur la question du genre que d’autres cantons, observe la PLR Isabelle Moret. Lors des élections fédérales également, puisque je suis la seule femme romande du groupe PLR et Alice Glauser l’une des deux seules femmes romandes de l’UDC». Adèle Thorens pousse même l’analyse plus loin: «J’ai le sentiment que le canton de Vaud est de plus en plus progressiste, se réjouit-elle, notamment sur les questions de genre, ou d’écologie. Longtemps, il a été considéré comme un canton rural, ce qui n’est pas du tout honteux, bien au contraire, mais ce qui sous-entend, à tort ou à raison, un certain conservatisme. Mais, - et c’est peut-être à l’occasion du développement de l’arc lémanique -, une grande dynamique d’ouverture s’est clairement enclenchée ces dernières années».

Gouverner différemment

Reste une question cruciale. Une majorité - voire même une hypermajorité féminine dans un exécutif comme ce sera désormais le cas-, change-t-elle concrètement quelque chose dans la manière de gouverner?

«Plus que le genre, ce sont surtout les opinions politiques qui modifient la manière dont le canton est gouverné», tranche Isabelle Moret, ex-candidate malheureuse au Conseil fédéral. Une opinion que d’autres élues tempèrent volontiers. «Même si ce n’est pas dans l’air du temps de l’admettre, la nature nous a tout de même faites différentes et les femmes sont toujours appelées à se battre pour la vie, sourit Suzette Sandoz. Les femmes exercent en effet le pouvoir de manière différente, à cause de leur manière d’appréhender, de maîtriser et de diriger le réel.»

Doris Cohen-Dumani va même plus loin. «Oui, une nette majorité de femmes peut changer les choses et si elles s’entendent bien, elles pourraient faire pencher la balance dans des sujets pour lesquels elles ont une sensibilité différente». Et en la matière, il y aurait un précédent. C’est lors de la période de la courte majorité féminine au Conseil fédéral qu’a ainsi été décidée la sortie de la Suisse du nucléaire. «Ce n’est probablement pas une coïncidence, observe Adèle Thorens. J’ai l’impression que les femmes sont plus sensibles au long terme. Et ce n’est pas la seule différence. Mon expérience me montre qu’elles sont souvent moins dirigées par leur ego, plus orientées vers les solutions et plus enclines à dépasser les clivages pour en trouver.»