Manel Santiso, chasseur de l’instant

AVENTURE • Agé de 20 ans, Manel Santiso est passionné de photographie. Ce Lausannois vient de rentrer du Mexique avec d’incroyables clichés racontant l’engagement de femmes bénévoles qui nourrissent des migrants clandestins juchés sur leur train.

  • Par charité chrétienne, des bénévoles jettent des victuailles aux clandestins en partance pour les Etats-Unis. MANEL SANTISO

    Par charité chrétienne, des bénévoles jettent des victuailles aux clandestins en partance pour les Etats-Unis. MANEL SANTISO

«Aux âmes bien nées, la valeur n’attend pas le nombre des années». Jamais cette célèbre citation du Cid n’aura autant trouvé sa justification. Car il n’a que 20 ans, et ses photos, autant que sa détermination, sont la promesse d’une belle carrière de photojournaliste. Cet enfant de Lausanne, qui vit aujourd’hui à Romanel, s’est découvert en 2019, une passion, une vocation, la photographie, après que ses parents lui aient offert un appareil professionnel. «J’adore la musique et j’ai réussi à me procurer une accréditation en tant que photographe pour un festival à Genève. Et là, ça a été une vraie découverte: ce que j’aime, raconte-t-il, c’est être au cœur de l’action, vivre en direct les évènements pour les immortaliser, et en quelque sorte devenir un chasseur-cueilleur de l’instant».

Vocation

Cette vocation naissante, il la confirme très vite en fonçant en septembre 2020 à Paris, pour en arpenter les ronds-points, histoire de fixer pour toujours la révolte des Gilets jaunes. Et ses photos, criantes de vérité, témoignent de son talent inné pour le photojournalisme, tant par leur qualité irréprochable, que par leur sens du détail qui tue, et qui en une fraction de seconde, révèle la quintessence d’un moment historique.

Alors, après avoir encore tâté du Covid-19, puis des manifestations «Black lives matter», il se décide pour le grand saut. En novembre dernier, il s’envole seul pour le Mexique, un pays où il n’a jamais été mais dont – étant espagnol d’origine – il parle la langue. «C’est un pays qui m’attire depuis toujours, je m’y suis beaucoup intéressé à travers des films et surtout les documentaires de la chaîne arte ».

Evidemment pour ce photojournaliste dans l’âme, les superbes plages et autres hauts lieux touristiques représentent un intérêt limité. Non, ce qui l’intéresse, c’est capturer des instants uniques et de haute intensité dramatique, vibrer au diapason de l’actualité pour raconter le réel. Et c’est là qu’il décide de se rendre dans la municipalité d’Amatlan de Los Reyes pour y rencontrer les bénévoles «Las Patronas».

Viols, vols et racket

Depuis plus de 25 ans, mues par leur foi chrétienne, ces femmes préparent chaque jour des sacs de victuailles qu’elles lancent à la volée aux migrants d’Amérique latine qui, juchés sur un train appelé «La Bestia» (Ndlr, «La bête»), tentent de rejoindre illégalement les Etats-Unis.

Voie la plus rapide pour arriver au pays de Biden, la Bestia n’en est que plus dangereuse, soumise au racket des cartels qui tuent, violent et volent ces damnés de la terre en quête d’une vie meilleure.

Accueilli par ces bénévoles sans autre formalité, Manel partage le quotidien de leur espace de repos pour migrants. La journée, il photographie tous les instants de leur vie ordinaire, tandis que des heures durant, il se poste aux abords de la voie ferrée, guettant le passage de La Bestia. Et le 4ème jour, c’est le jackpot. Une longue série de coups de klaxon annoncent l’arrivée du train tandis que les femmes de Las Patronas accourent pour lancer aux passagers leurs sacs de provisions. «A cette période-là, les migrants venaient surtout du Honduras, un pays extrêmement pauvre. Si certains trains ralentissent d’autres foncent à toute allure, sourit Manel. Ce jour-là j’ai eu de la chance, le chauffeur a ralenti et j’ai pu prendre mes photos». Des photos incroyables, crues, réalistes et criantes de vérité et qui immortalisent à la fois le destin de ces migrants venus de nulle part et l’engagement de ces bénévoles qui les nourrissent sans contrepartie.

Rentré à Lausanne, Manel Santiso s’apprête à partir faire son service militaire en janvier prochain. Mais après, il le sait, il le sent, comme une évidence qui ne se discute même pas: il sera, quoi qu’il arrive et quelles qu’en soient les difficultés, photojournaliste.

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