Climat: « L’acquittement des activistes est erroné et dangereux »

A Renens le 13 janvier, les activistes climatiques qui avaient occupé les locaux du Credit Suisse en novembre 2018 ont été acquittés. Bernhard Sträuli, professeur ordinaire et directeur du département de droit pénal de l’Université de Genève, revient sur un jugement «surprenant».

  • Pour le Pr Bernhard Straüli (en médaillon), aucun argument juridique ne justifie l’acquittement des activistes du climat. KEYSTONE

    Pour le Pr Bernhard Straüli (en médaillon), aucun argument juridique ne justifie l’acquittement des activistes du climat. KEYSTONE

Selon certains, l’acquittement des activistes est historique...

Cette décision n’a rien d’historique et est à la fois erronée et dangereuse. Car elle comporte le risque, entre autres, que certaines personnes pensent être en droit d’enfreindre la loi sans conséquences, au nom de la préservation du climat. Les récents événements le prouvent d’ailleurs: le lendemain même du jugement, d’autres activistes ont occupé les locaux d’UBS. Le juge a peut être mal lu la loi, ou alors a succombé à un élan de sympathie pour l’action des prévenus. Son rôle est pourtant d’appliquer le droit et non pas d’aller contre le législateur.

En quoi ce jugement n’est-il pas conforme au droit?

Un particulier a le droit de commettre une infraction dans des situations exceptionnelles seulement, soumises à des exigences très strictes. Le simple fait de s’engager pour une juste cause – et la sauvegarde du climat en est assurément une – ne suffit pas. Dans ce cas précis, les prévenus étaient poursuivis pour violation de domicile. Le juge a considéré que cette infraction était justifiée par l’«état de nécessité licite» au sens de l’article 17 du code pénal. Or cette disposition n’est pas applicable dans le cas particulier. Et l’aurait-elle été, les conditions qu’elle pose ne sont pas remplies.

L’occupation du Credit Suisse ne relève donc pas de l’état de nécessité?

Non. L’article 17 du code pénal suppose qu’un danger menace un bien juridique individuel. Imaginez un randonneur se promenant en montagne et qui est soudainement pris dans une violente tempête et n’a pas le temps de redescendre en plaine; dans la mesure où son intégrité corporelle, voire sa vie, est en danger, il a le droit d’entrer par effraction dans une cabane afin de s’y abriter. Dans l’affaire du Credit Suisse, un éventuel danger menace le climat, à savoir un bien juridique collectif. Si la violation de domicile considérée devait trouver une justification, elle aurait dû être recherchée dans l’institution, reconnue par la jurisprudence, de la sauvegarde d’intérêts légitimes.

Et les conditions d’une sauvegarde d’intérêts légitimes étaient-elles remplies?

Non plus. La justification requiert d’abord l’existence d’un danger imminent et concret, comme dans l’exemple du randonneur ce qui n’est pas le cas ici. Ensuite, une justification suppose que l’infraction commise permette de détourner le danger en l’espèce, on ne voit pas en quoi l’occupation des locaux du Credit Suisse a freiné le réchauffement climatique. Enfin, les prévenus devaient être privés de tout moyen licite pour atteindre leur objectif ; en l’occurrence, ils auraient pu manifester devant la banque et non dans ses locaux. Compte tenu de tout cela, l’appel du Ministère Public est parfaitement logique.

Pourquoi, à votre avis, le Credit Suisse a-t-il retiré sa plainte?

J’imagine que le Credit Suisse, s’il avait su quel battage sa plainte pour violation de domicile entraînerait, ne l’aurait pas déposée. D’où probablement l’absence d’appel annoncé dans les dix jours de la communication du jugement de Renens. Cela étant, Credit Suisse - je pars de l’idée qu’il est (toujours) partie plaignante - peut encore faire un appel dit «joint» dans les vingt jours suivant la réception de la déclaration d’appel du Ministère Public. Ce dernier délai part à réception du jugement motivé du tribunal de Renens.

par Valentine Corthay