Un petit vent de magouille

- Dans les ports privés vaudois, les places d'amarrage sont de plus en plus rares.
- Arrangements douteux, copinage, spéculation, la loi de la jungle règne.
- Les autorités reconnaissent certains abus, mais elles minimisent la situation.

  • Les places d'amarrage sont plutôt rares dans les ports privés vaudois.VERISSIMO

    Les places d'amarrage sont plutôt rares dans les ports privés vaudois.VERISSIMO

Le milieu nautique vaudois est fermé. Il a ses propres règles, qui échappent souvent au commun des mortels. Mais lorsque l'on parvient à y pénétrer, en s'armant de patience, il suffit de peu de temps pour se rendre compte que les eaux du Léman se révèlent parfois troubles. Surtout lorsqu'il s'agit de trouver une place dans un port privé. Si ceux publics fonctionnent de manière transparente avec une liste d'attente, comme c'est le cas notamment à Vidy, certains lieux comme Lutry, Crans-près-Céligny ou la Pichette, sont le théâtre de petits arrangements au vu et au su de tous.

Des années d'attente

«C'est une petite mafia organisée, lance Roland*, navigateur expérimenté qui connaît bien le milieu nautique vaudois. Tout est une question de fric. Le but est d'entuber tout le monde en faisant payer un maximum pour une place d'amarrage. Les propriétaires de place dans les ports privés savent très bien qu'il y a plusieurs années d'attente à Vidy ou à Morges. Du coup, ils en profitent.»Pour ce faire, il suffit de se balader sur les sites de petites annonces pour découvrir que des épaves ne valant pas plus de quelques milliers de francs sont vendues parfois 40'000 francs, car elles sont liées à une place. Pas de quoi ébranler Jimmy Mathis, responsable du port privé de Lutry depuis plus de quinze ans: «Nous avons un contrôle total sur les places d'amarrage, car elles sont achetées par les gens. Il n'y a pas d'astuces possibles. Ce que je dis depuis longtemps est que tous les ports devraient être privés, cela éviterait tous les problèmes de magouilles. Car c'est la politique qui crée ces affaires de copinage pour les listes d'attente.» Reste que si les causes varient d'une personne à l'autre, la réalité est que les temps d'attente ne cessent de s'allonger depuis plusieurs années. A Lutry, dans le port communal, elle peut s'élever à 20 ans, compter 2 ans en moyenne à Lausanne. De quoi en rebuter plus d'un.

Payer ou frauder?

Du coup, lorsque l'on décide de se faire plaisir en acquérant un bateau, deux possibilités honnêtes sont possibles: attendre ou sortir le porte-monnaie. Une troisième voie est de plus en plus pratiquée, elle consiste à contourner la loi. Dans les ports communaux, la sous-location est interdite et ce sont les résidents de la commune qui sont privilégiés, afin de prévenir les éventuels abus. Cependant, on assiste à un phénomène croissant: les prête-noms. Pour quelques centaines de francs par année, ils proposent dans les cafés des ports de prêter leur boîte aux lettres pour que l'habitant de Cugy devienne comme par magie, un résident lausannois. Ils représenteraient entre 5 et 10% des navigateurs. «Cela arrive d'avoir des gens qui viennent se mettre illégalement sur une place, mais par expérience, c'est relativement rare, nuance Gérard-Humbert Droz, le garde-ports morgien. Nous faisons des contrôles réguliers. Ce qui est remarquable par contre, c'est l'augmentation des gens qui n'habitent pas à Morges et qui souhaitent une place.»

Sanction irréversible

Tenter de contourner la loi est risqué. En cas de fraude avérée, la sanction est irréversible, c'est la perte immédiate de la place. Pour Roland, la parade est déjà en pratique chez certains. «Ce n'est pas sorcier, ils sortent quelques dessous de table et le tour est joué. Je peux vous affirmer que c'est une pratique répandue dans certains villages de l'arc lémanique. Mais tout le monde ferme les yeux, car c'est une organisation entre copains.»Une autre technique qui tend à contrer la pénurie des places consiste à se balader de port en port tout au long de la belle saison. C'est le choix qu'a fait Gisèle*: «J'ai attendu des années pour avoir une place en vain. Et n'ai jamais eu l'argent pour débourser 40'000 francs, c'est de la folie. J'ai tout juste de quoi me payer quelques produits d'entretien pour le bateau. Après quelques années de galère avec un bateau qui pourrissait dans mon jardin, j'ai décidé de tenter le coup.» Cela fait trois mois qu'elle squatte les bouées et autres places laissées vides par leur propriétaire. Toutes les semaines, elle déplace son bateau. «Je sais que c'est pénible, mais en même temps, cela m'oblige à naviguer, je ne m'en plains pas. Je connais les risques, mais je n'avais pas d'autres choix.»Ce comportement, s'il reste marginal, est connu des autorités vaudoises: «Il nous est arrivé de trouver quelques bouées sauvages posées près des rives, se souvient Jean-Pierre Meyer, responsable de l'utilisation des rives pour le canton. Nous effectuons des dépistages annuels pour éviter ce type de problèmes. La gendarmerie du lac nous alerte aussi si de tels dispositifs sont découverts.»

(*) noms connus de la rédaction