La Suisse ne possède aucune loi anti-terroriste. Voilà, c’est dit. L’affirmation peut étonner au premier abord, d’autant qu’elle trouve un écho particulier après les évènements survenus il y a une dizaine de jours dans la région parisienne.
De quoi s’inquièter? Officiellement pas! Les autorités et les spécialistes en cas d’attaque jugent la législation actuelle suffisante. Car si la Suisse n’a pas, contrairement à une grande majorité de pays, adopté de texte réglant spécifiquement les questions relatives au terrorisme, c’est d’abord parce que «tout acte terroriste matériel – homicide, prise d’otages, destruction d’infrastructures, etc. – est déjà couvert par une disposition existante du Code Pénal», explique Frédéric Bernard, auteur d’une thèse de doctorat sur «l’Etat de droit face au terrorisme» et chargé de cours à l’UNIGE.
Des articles en suffisance
Les articles 260 et suivants du Code Pénal, en particulier, régissent les sanctions à l’égard des crimes et délits, qu’importe qu’ils soient commis dans un cadre terroriste ou non. «Notre code pénal actuel est suffisant et punit le terrorisme de manière très claire, renchérit Géraldine Savary, conseillère nationale socialiste vaudoise et membre de la Commission de sécurité. Une loi anti-terroriste type Patriot Act aurait des conséquences contre-productives. Elle peut miner l’Etat de droit, et pousse des parties de la population à se sentir stigmatisées.» Ce qu’admet également Frédéric Bernard pour qui une loi anti-terroriste apporterait peu sur le plan juridique.
Cet avis n’est toutefois pas partagé par Jean-Paul Rouiller, directeur du Geneva Centre for Analysis of Terrorism et ancien pro du Service de Renseignement suisse. S’il considère que la Suisse est en mesure de faire face à une action terroriste de basse et moyenne intensité (lire encadré ci-dessous), sur le plan juridique, c’est autre chose: «Il n’y a que le diable qui se cache dans les détails… Une loi anti-terroriste serait à même d’agir sur des comportements qui ne relèvent pas du Code Pénal actuel.» Il condamne les délits constitués et les actes préparatoires, «mais leur définition est tellement restrictive et précise que cela ne peut intégrer la complexité du terrorisme.» En effet, ce dernier peut englober une multitude d’actes allant de la procuration de faux papiers à l’achat de matériel qui in fine servira à fabriquer des explosifs.
Une capacité d’action
Une manière aussi de prendre en compte «l’étroite corrélation entre action et intention» que la Suisse n’a pas intégré selon lui. Le but concret d’une loi anti-terroriste: pouvoir condamner n’importe quel acte individuellement dès lors qu’il est commis dans un but terroriste. «Cela donnerait à notre pays la souplesse et la capacité d’action dont il a besoin en la matière.»
En automne der nier, le Conseil Fédéral a certes voté, en urgence, une loi interdisant les organisations terroristes telles qu’Al-Qaïda ou l’Etat Islamique, et leurs activités sur le territoire helvétique. Mais il a lui-même admis que l’apport de cette loi était essentiellement symbolique.