Fièvre Ebola: une épidémie de... psychose

- Plus vite qu’Ebola lui-même, c’est la peur du virus qui se propage à la vitesse de la lumière.
- Pourtant, rien dans le mode de transmission actuel de la maladie ne laisse présager la survenue d’une épidémie et encore moins d’une pandémie.
- Seulement voilà, nos sociétés sont allergiques au risque.

  • A Madrid, le premier cas de fièvre Ebola a créé la panique. DR

    A Madrid, le premier cas de fièvre Ebola a créé la panique. DR

<blockquote>«Chaque année en Suisse, près de 1500 personnes meurent de la grippe»</blockquote><p><sub>Office fédéral de la santé publique, octobre 2014</sub></p>

On avait eu la vache folle. Puis est arrivée la grippe aviaire. Et puis enfin, la tristement célèbre grippe H1N1! Ah le virus H1N1! Que d’inquiétudes pour rien! Un vrai pet dans l’eau en termes sanitaires, mais surtout des milliards dépensés pour un Tamiflu qui, à défaut de protéger d’un risque illusoire, aura largement fait le bonheur des laboratoires pharmaceutiques.

Psychose

Et puis voilà, ça y est: nous la tenons notre psychose de l’année. Oubliés les Djihadistes fous d’Allah. Oublié le rejet de la caisse maladie unique, qui nous voue à toujours payer plus dans la plus grande opacité. Ebola est là!

Avec son cortège de peurs, d’images spectaculaires dignes d’une série américaine. Et sa cohorte de morts. Pas chez nous bien sûr, mais là-bas, très loin, chez les Africains. Sauf que le mal arrive chez nous à grande vitesse. Avec un ou deux décès. Aux Etats-Unis d’abord, puis à Madrid.

Etonnamment, là où tout se joue, où les morts se comptent en dizaines, on reste zen. «Franchement, je viens de rentrer du Togo et les gens sont très calmes, raconte un jeune Romand, qui a quitté le pays en raison... de la crainte d’Ebola. J’ignore si c’est du déni ou pas, mais là-bas, on ne s’inquiète pas outre mesure.»

Peu de victimes

Chez nous en tout cas, on s’inquiète. Car on adore avoir peur, même si on annonce des chiffres cataclysmiques, faux bien entendu. Car la réalité n’est pas dans les manchettes de quotidiens ou dans les reportages télévisés.

Mais plutôt dans les statistiques de l’OMS (Organisation mondiale de la santé) qui, pour l’instant, recensent moins... de cinq mille victimes dans le monde entier, infiniment moins que le nombre de morts sur les routes!

Mais entre les cas avérés, les cas suspects, les cas à protéger, les cas à surveiller, etc., une chatte n’y retrouverait pas ses petits. Alors évidemment, on ne pense qu’à se protéger de ce danger si fantasmé. Et si on mettait tout le monde en quarantaine? Pourquoi ne pas suspendre les liaisons aériennes ou, à l’instar de nos amis Japonais, sortir masqués voire gantés?

Réalité scientifique

Car même s’il s’agit d’attitudes qui ne cadrent absolument pas avec la réalité scientifique de la maladie (lire ci-dessous l’interview du Professeur Hatz, un spécialiste de l’Institut tropical suisse de Bâle), on persiste et signe.

«Plus on parle des risques, plus on arrive à s’en protéger, et plus ceux dont on ne se prémunit pas sont mal perçus, surtout s’il s’agit de maladies infectieuses qui renvoient à des fantasmes anciens», analyse la sociologue Claudine Burton-Jeangros de l’Université de Genève, qui a consacré de nombreux travaux à la notion de risque. Et de constater: «Il y a un décalage entre la réalité de la menace objective et la manière dont notre société s’empare de cette question. Nous manifestons une volonté de maîtriser l’avenir, qui est par définition incontrôlable.»

Il faut dire que dans les années 50-70, la science a donné, un temps, l’illusion que les maladies infectieuses étaient contrôlables. Et puis bien sûr est arrivé le sida, avec son lot d’incertitudes et le retour de la peur.

Surenchère

Et quand la peur est là, la surenchère des médias aidant, les autorités elles-mêmes y vont de leur partition alarmiste.

A preuve: contacté pour nous parler d’Ebola, le CHUV de Lausanne a botté en touche et nous a renvoyés à... l’Office fédéral de la santé publique, excusez du peu!

Alors, de crainte de se voir reprocher a posteriori une attitude désinvolte, toujours risquée électoralement, on met le paquet. Souvenons-nous de H1N1 et des millions de doses acquises par la Confédération, pour le plus grand bénéfice du fabricant du vaccin.

Car c’est une certitude: notre paranoïa et notre allergie au risque bénéficient à d’autres et en monnaie sonnante et trébuchante. Même si, selon le professeur Christoph Hatz de l’Institut tropical suisse, il ne s’agirait là que d’une «deuxième paranoïa dans la paranoïa», la recherche actuelle sur Ebola n’étant pas le fait de l’industrie du médicament, mais bien des pouvoirs publics, l’immunologue suisse Beda Stadler, professeur à l’Université de Berne, n’hésite pas à mettre en cause l’OMS et les pharmas, soupçonnés d’entretenir la panique pour mieux préparer de futures et juteuses affaires.

En attendant la prochaine paranoïa collective, le paludisme, menace réelle s’il en est, aura quant à lui tué, depuis le début de l’année, plus de 500’000 personnes à travers le monde! Mais des personnes qui, de toute façon, n’auraient pas eu de quoi se payer un vaccin qui, depuis des décennies, tarde à voir le jour...

«Des dizaines de cas sont exclus!»

Docteur en médecine, chef de département à l’Institut tropical suisse de Bâle et à l’Institut de médecine sociale et préventive de l’Université de Zürich, le professeur Christoph Hatz apporte un regard distancié sur le risque épidémique.

– Y a-t-il un risque d’épidémie d’Ebola en Suisse?

– Si par épidémie vous entendez des dizaines ou des centaines de cas, cela me paraît non seulement improbable, mais exclu. Qu’il y ait des cas secondaires en revanche, on ne peut pas l’exclure à 100%, mais on fait vraiment tout pour minimiser ce risque.

– Comment expliquer que le risque soit si modéré?

– Dans l’état actuel du virus, qui peut toujours muter il est vrai, Ebola ne se transmet pas par voie aérienne, comme une simple grippe, ce qui limite les risques. Pour que la transmission d’Ebola puisse se faire, il faut en fait un contact avec un fluide corporel comme le sang par exemple, et cela est plutôt rare dans les conditions de la vie quotidienne.

– Quel est donc actuellement le plus grand danger?

– Incontestablement, que l’on loupe un cas de paludisme parce que l’on est trop préoccupé par Ebola! En Suisse aujourd’hui, on meurt plus du paludisme que d’Ebola!

– Quels conseils adressez-vous donc à la population?

– D’abord de rester calme. Ensuite, si vous connaissez une personne qui est de retour d’une zone à risques, assurez-vous, en cas de symptôme inexpliqué comme de la fièvre, qu’elle téléphone d’abord aux autorités sanitaires, qui après l’avoir interrogée sauront l’orienter convenablement.