Pour ne pas effacer la mémoire ...

COLONISATION • C’est une inscription qui n’attire pas vraiment l’attention. Elle orne le mur d’un bâtiment du quartier du Flon, à Lausanne. Grise sur fond… gris clair. Placée très haut, elle est peu lisible. Il faut donc être très attentif pour découvrir ce qu’on peut y lire: «Magasins de denrées coloniales».

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Ce qui n’a pas empêché une étudiante en anthropologie de l’Université de Neuchâtel d’en faire un mémoire de master intitulé «Mystère d’un non-problème dans l’espace public à Lausanne», comme nous l’a rapporté notre confrère blick.ch.

L’histoire est intéressante. En 1977, le terme «denrées coloniales» de cette enseigne avait été remplacé par «cafés & thés en gros», ce qui correspondait alors mieux aux produits vendus sur place, mais qui s’inscrivait surtout aussi dans le contexte de combat anticolonialiste et tiers-mondiste qui avait succédé à la vague de décolonisation des années 60. Par un malheureux concours de circonstances, que personne ne s’explique pour l’heure, le terme «denrées coloniales» est réapparu sur le mur en 2019 suite à des travaux de rénovation. Sans l’œil averti de l’étudiante, il aurait sans doute pu y rester encore très longtemps, sans susciter la moindre réprobation.

La Suisse n’a jamais eu de colonies. Mais on sait, de manière incontestable, qu’elle a participé à ce qui était alors en Europe un processus d’expansion politique et économique. Dans un subtil jeu mélangeant intérêts commerciaux et politiques, elle a été un acteur indirect de la colonisation. La problématique soulevée par l’épigraphe du Flon, même si elle est quasi invisible et paraît bien anodine, s’inscrit ainsi dans le même registre que celle qu’on évoque quand on parle des statues de personnalités liées à l’esclavage, édifiées sur certaines places ou dans certains parcs de nos cités, ou du nom de certaines rues.

Les villes de ce pays ont abordé, chacune à leur manière, cette problématique de l’espace public. Dans ce contexte, et au-delà de la pertinence du questionnement touchant ce cas particulier, et qui mérite au moins une réponse officielle, on ne peut en tout cas que se réjouir de voir comment Lausanne a réagi jusqu’à aujourd’hui face à ce problème. Au déboulonnement pur et simple de toute statue controversée, ou à l’élimination de tout plaque litigieuse, elle a préféré la pose de plaques explicatives. Selon un principe simple: mieux vaut expliquer que débaptiser, sinon on efface la mémoire. Y compris de ce qui peut apparaître aujourd’hui comme des actes répugnants. En ira-t-il de même pour l’inscription du Flon? Le mérite-t-elle vraiment? L’avenir le dira puisque le PS lausannois entrevoit une intervention parlementaire à ce sujet. L’affaire - ou la polémique - ne fait donc que (re)commencer.