Jeu de dupes

Quelques joueurs discrets sont réunis au fond d’une salle pour une partie de poker. L’un d’entre eux, nous l’appellerons Credit Suisse – CS pour les intimes – est en bien mauvaise posture. Voilà plusieurs tours qu’il enchaîne les mauvais coups.

Acculé, il tente un dernier bluff pour éviter de montrer son jeu. Il prend son souffle, jauge son adversaire, et se lance, tapis! Il mise tout mais reste étonnamment calme: l’argent qu’il mise n’est pas le sien. De toute façon, le jeu est truqué et il a un complice de choix: le croupier. Même s’il perd, il gagne.

A cette table se trouvent les meilleurs joueurs de l’établissement. Ils sont grands, trop grands!, ils sont importants, trop importants! pour que le propriétaire des lieux se permette de les perdre. Cela ferait fuir tous ses clients, réduisant à néant son château de cartes. Alors forcément, sachant cela, les risques que prend CS sont tout relatifs. Et puis de toute façon, cela fait quelques temps déjà qu’il a perdu de sa superbe. Alors, foutu pour foutu…

La suite, vous la connaissez. CS perd. Ses actionnaires perdent, mais pas tout. Et cela change tout. Car le sens des responsabilités est biaisé, tout comme le rapport au risque, à la défaite, à la mort. Les mortels d’un côté, les dieux de l’autres. Une situation résumée par les propos de l’astronaute et entrepreneur américain Frank Borman: «Un capitalisme sans banqueroute est comme un christianisme sans enfer».