Jean Dujardin: “Je suis un peu un labrador.”

SORTIE CINEMA - Le comédien, révélé par ses personnages cultes et comiques Brice et OSS 117, puis auréolé de l’Oscar du meilleur Acteur en 2012 pour “The Artist”, est bouleversant dans l’adaptation du roman de Sylvain Tesson “Sur Les Chemin Noirs”. Entretien au naturel.

 

"je prends souvent des rôles qui vont m’amener ailleurs"

Lausanne Cités : Plus votre carrière avance et plus on vous découvre dans des rôles très variés…

Jean Dujardin: La première question que je me pose, c’est de savoir si je peux être crédible dans le rôle. Si j'accepte un scénario, c'est qu'il y a quelque chose qui s’est passé dans mon esprit. Disons que je sens que je peux. J'ai tout le temps envie d'apprendre, alors je prends souvent des rôles qui vont m’amener ailleurs. J’ai besoin de prendre des projets qui m'impressionnent. Typiquement, la colère froide du chef de la sous direction anti-terroriste que j’incarne dans «Novembre». Je dois être juste, rendre le vécu émotionnel terrible de cet instant, mais sans surjouer le chef. Maintenant, je me sens un peu plus légitime pour faire ce genre de choses.     

Vous semblez être dans une période ou vous délaissez la comédie. Fini de rire ?

Dès que je fais deux films qui ne sont pas des comédies, on me dit que je quitte le registre ! Je ne tourne pas beaucoup. Brice, OSS, ça n’est pas si éloigné !  Il se trouve que les bonnes comédies sont de plus en plus rares à trouver, en tout cas celles qui me font rire. Je les aime singulières, truculentes, déconnantes et inventives. Elles sont assez rares, donc je préfère aller dans d’autres genres en attendant d’en trouver une.

Vous incarnez Sylvain Tesson dans l’adaptation de son roman autobiographique, «Sur les Chemins Noirs», qui raconte son long chemin vers la renaissance, suite à un terrible accident. Comment s’est passée votre rencontre ?

J’incarne Pierre, ce n’est pas vraiment Sylvain. Je ne voulais pas être Sylvain, mais être une variation de lui. Ça aurait été un peu gênant et puis ce n'était pas le propos. Le message du livre est beaucoup plus universel que ça. C'est vrai qu'on se sert de sa vie pour en faire un film. J’ai rencontré Sylvain quelques fois, mais je ne voulais pas être lui. D’abord, comment être lui ? Je crois que lui même nous remercie de ne pas avoir été finalement entièrement sur ses traces. Je pense que le film est une œuvre thérapeutique, qui soigne et doit s’adresser au plus grand nombre. Un film, ça peut faire du bien. C’est le cas ce celui-là.

S’il n’y a pas que du Sylvain Tesson dans ce personnage, est-ce qu’il y aussi un peu de Jean Dujardin ?

Forcément ! Mes moments de joie, de peines, d'énervement, je les ai vécus. Il n’est pas rare que je m’engueule moi même dans le film, que je me fasse mal, ou même simplement que je fasse des choses simples, du feu, ramasser et couper du bois, faire griller une tranche de saucisson, m'endormir dans la chaleur du feu. Ce sont des choses qu'on n'a pas intérêt à jouer. Et moins on les joue, plus on ressent une intériorité, une vibration en tout cas. Il n'y a rien de pire que de surjouer. Donc j'essaie d'être simplement là, de ne pas jouer, mais de faire. C’est Nicole Garcia qui m’a appris cela : « Ne joue pas Jean ! Ne joue pas !»

Le film, comme le livre, raconte donc la longue marche de cet homme littéralement brisé, à qui on avait dit qu’il ne marcherait plus jamais, et qui se décide de traverser la France à pied via cette fameuse diagonale du vide qui traverse les endroits les plus reculés du pays. Avez vous redécouvert cette France oubliée ?

Je l'ai même découverte !  Le Cantal, par exemple, c’est un vrai choix d’y aller, c’est tellement mal desservi qu’il faut le choisir ! C’est sublime, c'est la Patagonie, le Cantal ! C'est assez rassurant de se dire qu'il y a encore des endroits totalement vierges en France. Vous avez ça aussi dans les Pyrénées, dans la vallée d'Aspe, ou au Jobourg, vers La Hague.

Ce tournage a refait tout le voyage de Sylvain Tesson ?

Oui, et c’était un cadeau merveilleux. Nous étions une toute petite équipe, nous l’avons fait en accéléré, en immersion totale. Sylvain a parcouru 1.300 kilomètres en quatre mois, on les a fait en neuf semaines.

Est ce que ça vous a donné envie, ce retour à la terre, à la nature sauvage, cette solitude ?

Je crois que je n'ai jamais vraiment quitté cette idée de la nature. Je m'appelle Dujardin, c'est pas pour rien non plus, sans mauvais jeu de mot. J'ai besoin d'avoir ce contact là. Je marche, je fais de la randonnée, je cours. Je suis plutôt un acteur d’extérieur. Je suis un peu un labrador, moi. Quand on me dit : «tu vas tourner, il y aura pas l'intérieur», je dis «ah cool, merci!». C'est sûrement ce qui nous réunit, Sylvain et moi.  Je crois que j'ai toujours eu ce lien depuis que je suis ado, depuis que j'étais scout.

Votre vie d’acteur ne vous a pas éloigné de cela ?

Non, je ne crois pas. Il y a toujours votre image qui dit le contraire, on vous imagine toujours ailleurs, on vous imagine toujours un autre. Je n'ai pas été perverti. Le métier n'est pas obligé de nous pervertir. C'est comme la grosse tête. On imagine que tous les acteurs ont la grosse tête.. Alors déjà, pas besoin d’être acteur, il y a des boulangers qui ont la grosse tête. En fait, il y a des cons un peu partout. Moi, je n'ai pas été élevé ainsi, je m'en voudrais, ça serait insulter l'éducation de mes parents. J'ai juste envie de faire des films pour amuser quand je peux amuser et  émouvoir quand je peux émouvoir, accessoirement apprendre des choses, remplir ma vie et me faire un petit catalogue d'images, de rencontres, de sensations pour, au bout du bout, pouvoir me dire :  «J'ai bien vécu».

«Sur les Chemins Noirs», de Denis Imbert, actuellement au cinéma.