«Je rêvais d’être animateur de télévision, pas acteur»

CINéMA • En s’inspirant de son histoire personnelle récente, Roschdy Zem livre avec «Les Miens» une chronique familiale bouleversante et lumineuse, qu’il réalise et dont il interprète le rôle principal, entouré des «siens» justement. Le comédien se confie sur ce film très personnel dans lequel nous pouvons tous retrouver un peu de nous-mêmes.

  • VINCENT HOFER

    VINCENT HOFER

«Ne sommes-nous pas tous des ersatz de nous-mêmes définis par des dogmes?»

Lausanne Cités: Le titre du film laisse présager un récit autobiographique…

Roschdy Zem: En très grande partie, oui. Le film commence sur cet accident qui est réellement arrivé à mon jeune frère, et qui a agi comme un révélateur et raconte les réactions et les attitudes de chacun par rapport à ce qui vient déséquilibrer cette tribu. L'accident, finalement, n'est qu'un prétexte, le déclencheur des vérités tues et des non-dits au sein de cette famille. Il va révéler des personnalités insoupçonnées, enfouies.

Il faut dire que ce frère qui reçoit un traumatisme crânien et qui change totalement de personnalité envoie du lourd!

Moussa peut balancer des choses assez agressives, mais toujours avec un fond de vérité. Ce n’est jamais absurde ou insensé, il les pense réellement, mais elles sont restées enfouies pendant 50 ans! Il va remettre en question les rôles qui sont prescrits, les statuts des uns et des autres.

Le film porte bien son titre puisqu’une partie de votre famille est au casting…

Même si je m’inspire de ma propre histoire récente, il a fallu constituer une famille de cinéma, essentiellement avec des gens qui m'étaient très proches. Sami Bouajila, qui joue Moussa, on se côtoie depuis 30 ans, je le considère comme un ami, comme un frère, tout comme Rachid Bouchareb. Il y a aussi ma fille, et également ma nièce. C'était important pour moi d'essayer de trouver quelque chose qui pouvait faire croire, de façon naturelle et spontanée, qu'une famille existait à l’écran.

Vous avez coécrit le film avec Maïwenn…

Oui, elle a été primordiale et essentielle, en amenant tout l'aspect charnel de l'écriture, qui était nécessaire pour ce projet. Et là, je parle au sens propre, il fallait pouvoir être dans la chair, dans le cœur des personnages. Il fallait être dans l’émotion plus que dans l’intellect. Et on n'a pas de références, Maïwenn et moi, on ne manie pas la syntaxe comme de grands auteurs, on a quitté l'école tous les deux assez tôt. Ça n'empêche pas d'avoir des choses à raconter. Ce n'est pas parce que ce vous n'avez pas fait d’études littéraires que vous n'avez pas le talent ni le pouvoir de raconter des choses. On a tous des choses à raconter, avec notre matière et nos manières.

Il y a des moments très intenses, très touchants et aussi des moments de comédie, comme le chroniqueur qui arrive en pantacourt sur le plateau télé. Ces moments plus légers sont-ils inspirés d’anecdotes réelles?

Le Canal Football Club, c'est du pur fantasme. On me demande souvent si j’ai toujours rêvé d'être acteur. Moi, je rêvais d'être animateur télé, de présenter des sportifs et des chanteurs de variété. Mon personnage est l’animateur de ce show télé, et parler football, reconstituer cette émission qui est pour moi une émission culte, c’était du pur plaisir.

Il y a aussi le neveu complotiste…

Là, je me suis inspiré de mon neveu qui partage ces idées-là et qui est, en plus, d'une gentillesse incroyable, toujours prêt à rendre service. Je le dis d'autant plus facilement parce que c'est un gamin pour lequel j'ai une profonde admiration malgré ses idées totalement saugrenues. Je voulais déconstruire l'image du complotiste, qui est souvent présenté comme quelqu'un de néfaste ou de malveillant, voire de dangereux. Il y a aussi des gens fragiles, vulnérables, qui se réfugient là-dedans pour avoir une posture, pour se faire remarquer, pour cacher une fragilité.

Le film est un reflet très juste d’une vie de famille: on rit, on souffre, on s’engueule, on s’embrasse, on se fâche, on se réconcilie. On arrive vite à se reconnaître dans ce portrait pourtant très personnel. Vous avez réussi à synthétiser tout cela en moins d’une heure et demie. L’écriture a dû être très précise pour arriver à ce résultat?

Ce n'est pas tellement l'écriture, qui a été un moment assez simple et joyeux avec Maïwenn, quasiment en simultané avec les événements tels qu'ils se déroulaient. Quand l'accident s'est produit, très vite, j'ai eu envie d'écrire, alors que mon frère était encore convalescent. On écrivait en fonction des retours qu'on avait des personnes principalement concernées, à savoir ma famille. On a fini avec un film de cinq heures mis bout à bout, qu’on a voulu concentrer en une heure et demie. Je crois que c’est ce concentré qui fait la force du film.

Ce qui est frappant, c’est la difficulté pour les proches d’appréhender les séquelles de Moussa. Les lésions cérébrales ont un côté impalpable, l’enveloppe est la même, mais l’être à l’intérieur a changé…

C’est la question que je me pose. Est ce que le Moussa d’après l’ accident est une nouvelle personne, ou est ce que finalement ce n’est pas le vrai Moussa qui éclate? Ne sommes-nous pas tous des ersatz de nous-mêmes, définis par des règles, des dogmes, des non-dits? Est-ce que cet accident n’a pas fait de Moussa un homme libre? Je n’ai pas la réponse, mais je pose la question.

«Les Miens», de et avec Roschdy Zem

Actuellement au cinéma.