«Faire des réserves de médicaments pourrait aggraver la pénurie»

PÉNURIE • De plus en plus de médicaments font défaut sur les étagères des pharmacies vaudoises. Au point de pousser les pharmaciens à développer des trésors d’inventivité pour satisfaire leurs patients. Entretien avec Christophe Berger, président de la Société vaudoise de pharmacie.

  • Président de la Société vaudoise de pharmacie, Christophe Berger analyse les ressorts de la pénurie de médicaments. MISSON-TILLE

    Président de la Société vaudoise de pharmacie, Christophe Berger analyse les ressorts de la pénurie de médicaments. MISSON-TILLE

Lausanne Cités: Observez-vous des pénuries de médicaments dans le canton?

Christophe Berger: Enormément, d’autant que le problème qui touchait d’abord les hôpitaux, gagne aujourd’hui les officines. Il peut s’agir des médicaments sans ordonnance délivrés sur simple conseil, comme le Neocitran, l’Algifor, le Dafalgan, mais aussi de médicaments sur ordonnance et ce, pour tous types de pathologies, comme des sirops pédiatriques, des antibiotiques ou même des médicaments pour des maladies chroniques comme l’hypertension ou le cholestérol…

Comment les pharmaciens font-ils face au problème?

Cela implique un surcroît de travail en termes d’adaptation et de coordination avec les grossistes ou les médecins, car pas un jour ne passe sans que nous ayons à trouver des solutions pour les patients. Pour les médicaments sans ordonnance, nous essayons de trouver des alternatives soit avec des génériques, soit en changeant de gamme de médicament avec un autre principe actif, mais la même action. Par contre, pour les médicaments sur ordonnance, il faut à chaque fois contacter le médecin traitant pour trouver un produit de substitution et adapter le traitement. Enfin, dans d’autres cas, nous essayons quand c’est possible, de trouver des principes actifs pour fabriquer le produit nous-mêmes. C’est le cas de certains sirops par exemple...

La santé des patients est-elle mise en danger?

Non, nous ne sommes pas encore dans des cas où les patients ne peuvent plus être soignés, puisque nous arrivons à trouver des solutions alternatives. Mais quand on change de médicament, il y a tout de même des risques potentiels en termes de santé publique, comme la possibilité de nouvelles interactions médicamenteuses ou l’apparition de résistances, etc.

Comment en est-on arrivé là?

Pour réduire les coûts, on a délocalisé un grand nombre de médicaments dans une ou deux usines pour l’ensemble du monde. Le résultat c’est que si la Chine n’exporte plus parce qu’elle doit faire face à ses propres besoins, comme par exemple le paracétamol avec l’épidémie de Covid, on a un problème chez nous. L’autre effet est que si l’on remplace un produit par un autre médicament, on crée une demande accrue et une tension sur ce dernier. Enfin, il y a des cas où ce sont les emballages qui manquent en raison de la baisse des chaînes de production.

Cet hiver a vu une accumulation de maladies. Cela a-t-il aussi joué un rôle?

Bien entendu, la demande accrue de certains médicaments suite aux différentes maladies hivernales a clairement accentué la pénurie.

Des problèmes d’ordre structurel n’expliquent-ils pas également cette tension?

Il y a un problème de prix, surtout pour les maladies chroniques. Dès lors qu’il y a eu une volonté de diminuer le prix de certains médicaments, la production de ceux-ci devient bien moins attractive pour les entreprises. Certains médicaments comme des anti-hypertenseurs ne sont même plus commercialisés en Suisse. Donc soit on change de médicament, soit le patient l’acquiert à l’étranger, mais sans être remboursé par les caisses-maladie.

Que font les autorités pour gérer le problème?

Ces pénuries s’observent au niveau mondial, la solution est donc du ressort de la Confédération qui, du reste, vient de créer une task force. Mais cela fait bien dix bonnes années que la Société suisse de pharmacie avertit que nous allions devoir faire face à ce type de problèmes…

Pour quand entrevoyez-vous la sortie de crise?

Pour les médicaments saisonniers dont la pénurie est liée à une conjonction de facteurs, cela devrait rentrer dans l’ordre rapidement. Pour les médicaments qui soignent les maladies chroniques, l’issue me semble bien plus incertaine tant les grossistes avec lesquels j’interagis sont pessimistes. Une chose est sûre: les patients ne doivent pas faire des réserves de médicaments à la maison, car cela aggrave la pénurie. La solution est de discuter avec son pharmacien pour trouver des alternatives.

Propos recueillis par Charaf Abdessemed