Quand Helena Blatter part à l’assaut de Sepp Costa

La plume et le mammouth. Non, ça n’est pas l’ultime fable inédite miraculeusement dénichée par un lointain héritier de La Fontaine aux dents longues dans le poussiéreux secrétaire de son lumineux aïeul. La plume et le mammouth - Le flocon et l’enclume si vous préférez -, c’est juste le conte de la semaine écoulée sur la planète football.

  • Sepp Blatter. DR

    Sepp Blatter. DR

La Belle et la bête

Un conte avec une fée pas comme les autres et une baguette inflexible. Deux destins, une collision folle d’ironie et de modernité. Au début, on n’avait dressé aucun lien manifeste entre Helena Costa et Sepp Blatter. Elle, portugaise, 36 ans, gonflée de nobles illusions; lui, Haut-Valaisan, 78 balais, de quoi essuyer toutes les tempêtes et lustrer bien des casseroles. Elle, jeune pionnière parachutée sur un banc de touche auvergnat; lui, colon ancestral du foot-pognon globalisé depuis la colline du Sonnenberg (ZH). 

La Belle et la Bête? Non, La plume et le mammouth on a dit. Et le plus joli dans tout ça, c’est que l’extrait de duvet, au mépris de toutes les lois physiques observées jusqu’ici, a provoqué davantage de bruit et d’éclat que le colosse laineux au moment d’atterrir dans la mare des canards et autres médias aux abois. Mercredi dernier, Helena Costa est devenue la deuxième femme en Europe à empoigner les rênes d’une équipe masculine professionnelle - Clermont-Foot, en Ligue 2 française. Le lendemain jeudi, au coin d’une table ronde, Sepp Blatter a confirmé sa volonté de briguer un cinquième mandat à la tête de la Fédération internationale du cuir et de ses nombreux produits dérivés (FIFA).

Volons maintenant au secours de ceux qui n’ont pas vu le rapport avec la choucroute, ni décelé là-dedans quelconque matière à tricoter un conte. Le cœur de la fable, c’est la puissance antinomique de ces deux symboles trop opposés pour qu’on n’ait pas envie de les unir. Helena Costa, surnommée «Mourinha» en raison de ses méthodes quasi scientifiques et de son regard noir, c’est l’idée d’une révolution, d’une porte qui s’entrouvre sur un monde meilleur - une femme en survêt’ qui dirige des gominés en short! Sepp Blatter, c’est l’immobilisme galopant, la crainte de ne jamais voir le potage s’éclaircir.

Digne successeur du Brésilien João Havelange, qui occupa le trône de 1974 à 1998, Blatter est ainsi le deuxième homme à diriger l’instance depuis quarante ans - comment voulez-vous que ça respire à l’intérieur du château? 

Deux mecs pour piloter un demi-siècle de business florissant et dans le même temps deux dames, pas une de plus, jugées dignes d’exercer la profession d’entraîneur au royaume de la testostérone - le terme d’entraîneuse est à proscrire dans ce contexte. 

Le début d’un conte

Helena Costa imposera-t-elle ses idées au pays du pneu Michelin et du rugby carabiné? A la buvette du stade, le philosophe a déjà sévi: «Si elle veut réussir son coup, va falloir qu’elle ait des couilles.» Sepp Blatter peut-il raisonnablement être rejeté lors de l’élection de 2015 par un système dont il a lui-même graissé tous les rouages et bien des pattes avec depuis des lustres? «Non», répond le philosophe du zinc, plombé par le sujet.

La plume et le mammouth. L’une pourrait réécrire l’histoire. L’autre est confortablement assis sur les statuts de la FIFA, qu’il modifie à l’envi, distribuant les coups de couteau et les «fonds de solidarité». L’une est aérienne, prête à jouer des coudes telle une tasse de porcelaine dans un magasin d’éléphants, pour prouver que le footballeur mâle est génético-compatible avec l’idée d’une autorité féminine. 

L’autre s’érige en pilier sous-terrain du pouvoir, inamovible menhir qui veille sur la poule aux œufs d’or. Helena Costa et Sepp Blatter. Un conte qui ne fait que commencer; et dont chacun peut s’efforcer de mesurer la morale.