Damien Bonnard: «Adopter est un parcours du combattant»

DRAME • Damien Bonnard campe un père de famille bouleversant dans «Le Sixième enfant». On se souvient de son rôle de père maniaco-dépressif dans «Les Intranquilles» et de flic dans «Les Misérables», des personnages entre ombre et lumière. Il est aussi un grand amateur de comédie, comme il le révèle dans cet entretien.

  • Damien Bonnard , à gauche sur la photo, incarne Franck un ferrailleur qui fait partie de la communauté des gens du voyage. DR

    Damien Bonnard , à gauche sur la photo, incarne Franck un ferrailleur qui fait partie de la communauté des gens du voyage. DR

Lausanne Cités: Dans «Le Sixième enfant», vous incarnez Franck, un ferrailleur qui fait partie de la communauté des gens du voyage. Comment vous êtes-vous préparé pour ce rôle?

Damien Bonnard: Léopold Legrand, le scénariste et réalisateur, est arrivé avec un scénario très complet, où tout était écrit. C’est aussi passé par des rencontres avec des gens de la communauté du voyage avec qui on a passé beaucoup de temps, mais aussi des lectures, des documentaires. Et puis chacun a ses méthodes à côté de ce travail de fond. Ça peut passer par des choses très variées, des entraînements, des détails qui n’ont rien à voir avec le film mais qui m'apportent quelque chose. Par exemple, je porte un parfum différent pour chacun de mes personnages, que je vais choisir en fonction de son profil.

On sent effectivement une très grande justesse d’interprétation dans le film. Vous collez tout le temps au plus près de votre personnage.

C’est comme pour le parfum, il y a des choses qui ne se voient pas mais qui m’aident beaucoup. Par exemple, dans toutes les scènes au tribunal, je porte une veste de costume, que Franck, mon personnage, n’utilise pas normalement. On imagine qu’il la tient de son père mort, qu’il la porte comme un talisman, que ça va lui porter chance. J’ai cousu une photo de mon père, qui va très bien, je vous rassure, dans la doublure de la veste, pour y investir aussi un attachement, un pouvoir spécial.

Est-ce compliqué d’interpréter un personnage d’une communauté dont on n’est pas issu?

C’est compliqué dans le sens où on veut surtout ne pas dénaturer la culture qu’on interprète, ni tomber dans le cliché. C’est là que réside le danger. Ça fait peur, mais je crois qu’on a abordé cette communauté avec un grand respect réciproque.

Le film est un drame intime poignant qui développe petit à petit un suspense très prenant, presque un côté thriller…

Léopold n'a jamais présenté son projet comme un film social ou comme un thriller. Il voulait raconter cette histoire autour du désir d’être mère, de la filiation, de l’abandon. Son scénario est d’une justesse rare sur les enjeux de ses personnages. Sur le tournage, quand j’ai vu les choix de Julien Ramirez, le directeur de la photographie, pour les cadrages, la lumière, j’ai compris qu’il y aurait une autre dimension, une tension narrative qui irait vers le thriller, un peu comme dans les premiers films de Denis Villeneuve.

Beaucoup de thématiques sont abordées dans le film: la précarité économique, la question de l’adoption et de l’abandon… C’est aussi, et surtout, le portrait d’une femme, Anna, qui n’arrive pas à réaliser son désir de maternité…

Son désir va devenir son histoire, il va gouverner toute sa vie. Evidemment, en tant qu’homme, je ne sais pas ce qu’est le fait d’être mère, de porter la vie, de créer un être. Il doit y avoir quelque chose de l’ordre du transcendental, du sacré, du mystique dans cette expérience physique.

On sent les personnages masculins (le vôtre et celui du mari d’Anna), totalement dépassés par ce désir si fort qu’il en devient obsessionnel… d’un côté, Franck qui ne sait pas comment faire parce qu’il a trop d’enfants, de l’autre côté Julien qui n’arrive pas à en avoir.

C’est plus un échec de la société qu’un échec des hommes. En France, c’est un parcours du combattant quand on veut adopter. La société, le système, l’administration créent des barrières qui semblent insurmontables, souvent totalement absurdes et injustes. Alors les adoptants vont à l’étranger. Combien ça coûte un enfant? Combien ça coûte une vie? Le film pose cette question. Je suis allé faire des recherches sur Internet, j’ai trouvé des trucs hallucinants, des sites de trafic d’enfants, des cartes avec les tarifs… C’est inimaginable!

Il est aussi question de deux classes sociales qui se rencontrent alors qu’elles n’auraient peut-être pas dû se rencontrer…

Ce qui est beau, c’est que quelque chose de profondément humain va éclore entre ces deux couples qui n’auraient effectivement jamais dû se rencontrer. Ils vont franchir des interdits, questionner la morale, chiffrer l’inchiffrable, faire une transaction sur quelque chose qu’on ne peut ni vendre ni acheter. Mais malgré tout cela, il y a quelque chose de beau qui se dessine entre eux.

Vous semblez être plus un acteur de drames que de comédies…

C’est vrai qu’on m’en propose moins. Pourtant je suis un grand fan de comédies américaines, celles de Judd Apatow, Ben Stiller, Adam Sandler! Et je serai à l’affiche d’une vraie comédie aux côtés de Camille Chamoux l’été prochain, ainsi que dans «La Grande Magie», une comédie musicale signée Noémie Lvovsky, qui sortira en fin d’année.

«Le Sixième enfant», de Léopold Legrand. Actuellement au cinéma.