Clovis Cornillac: « Je ne cherche pas à faire du cinéma engagé, car il ne prêche souvent que des convaincus!»

CINEMA • En signant «Couleurs de l’Incendie», l’adaptation du second volet de la trilogie de Pierre Lemaître, Clovis Cornillac s’attaque à un roman d’une densité folle. Le comédien et réalisateur transpose au cinéma l’œuvre de l’un des plus grands écrivains français contemporains. Un sacré défi, dont il nous parle avec passion.

Lausanne Cités: Qu'évoque pour vous le titre «Couleurs de l'Incendie»?

Clovis Cornillac: J’ai découvert à la lecture du roman que ces mots sont extraits d’un poème de Louis Aragon. Mais même sans les avoir lus, on peut saluer la force des titres de Pierre Lemaître: «Au-revoir là-haut», «Robe de marié». En trois mots, il évoque quelque chose de l'ordre de l'inconscient. «Couleurs de l’Incendie», ça m'évoque la violence, mais aussi la beauté insaisissable et dangereuse du feu. C'est quelque chose qui est mouvant, quelque chose qui est chaud, qui est fort, hypnotique.

Comment aborder l'adaptation d'une œuvre aussi foisonnante?

J'adore fabriquer du cinéma, il n’y a rien qui ne me comble plus que ça. C’est une chance, une force énorme pour moi, peut-être que je suis un peu bête d'ailleurs, mais ça me permet d'avoir une forme de naïveté et donc de ne jamais avoir peur. Je n'ai aucune angoisse face à l’immensité du défi, mais alors aucune. C'est-à-dire que le projet m'excite tellement et que je suis tellement amoureux du cinéma que ça ne me fait pas peur.

Le travail d’adaptation a dû être titanesque…

Ce que j'aime, c'est le quotidien dans la fabrication du cinéma. Quand je fabrique un plan ou quand je fais mon découpage en amont du film, j'ai l'impression d'inventer le cinéma, il y a comme une forme d’ivresse. Je suis engagé à 200 % dans ce que je fais. Quand je dirige les acteurs, je ne les ai jamais trouvés aussi beaux, aussi grands, aussi justes. Et après, quand mon film est terminé et que je le regarde, je me rends compte que je n’ai rien inventé, mais rien. En revanche. Il y a une chose qu'on ne peut pas m'enlever, c'est que l'engagement est total, il y a une sincérité absolue dans ce que je fais. Alors ce n'est pas gage de qualité, mais c'est au moins gage d'un investissement absolu. Et je pense que, comme dans n'importe quelle discipline, l'engagement a une valeur et il amène quelque chose.

En fait, ces «Couleurs de l'Incendie», c’est un peu celles du feu qui vous anime quand vous tournez?

Oui, mille fois oui! Après, je ne me compare pas, ni à la qualité du poème d’Aragon, ni à la qualité de l'écriture de Pierre, parce que je ne suis pas du tout dans ce genre de choses. Mais en revanche, oui, je suis incandescent quand je fais du cinéma.

C’est souvent compliqué de passer des mots à l’image, de la grammaire littéraire à celle du cinéma. Le roman peut prendre son temps dans de longues scènes d’exposition, de descriptions, d’atmosphère, tandis que le cinéma est plus instantané, plus elliptique… comment avez-vous abordé cette transposition?

Au cinéma, on peut faire quarante pages de roman en un seul plan. Tout rentre en compte. Le cadre, le décor, les costumes, les coiffures, ce qu’on demande aux acteurs, les lignes de dialogue, les mouvements de caméra. Et puis le montage, surtout. Parfois tu es obligé de couper des choses magnifiques, mais qui ne jouent pas avec la construction, le rythme du film. La grammaire du cinéma, c’est le montage.

On ne peut que saluer l’extraordinaire fidélité au roman du résultat. Vous collez souvent au plus près du texte. C’est un choix assumé dès le départ?

C’est Pierre Lemaître qui a signé le scénario, d’où cette fidélité! Et je peux vous assurer que ce n’est pas évident d’adapter son propre roman!

Comment s’est passée votre collaboration?

Pierre, je suis un de ses lecteurs inconditionnels depuis des années, depuis ses tous premiers bouquins. On a fini par se rencontrer sur un plateau télé, je lui ai dit à quel point je l’admirais, et puis on a commencé à envisager de bosser ensemble pour l’adaptation d’un autre de ses livres, pour la télé. Ça ne s’est finalement pas fait. Un an et demi plus tard, il revient vers moi en me disant «On a pensé à toi pour «Couleurs de l'Incendie». J’ai foncé!

On sent dans le roman, qui se passe dans les années 30, une ironie grinçante sur la corruption de la classe politique, les petites magouilles entre amis, la collusion entre presse, politique et industrie… comme un écho à notre époque contemporaine, non?

Les grandes lignes du monde n’ont pas beaucoup bougé. Si on monte encore Shakespeare, Sophocle ou Molière, c'est parce que les enjeux liés au pouvoir, au désir, à la richesse, au statut social, sont les mêmes. Regardez Balzac, plus récemment, avec l’adaptation de ses «Illusions Perdues», c'est pareil.

Votre film dénonce lui aussi l’avidité du système et son manque absolu de moralité…

Je ne cherche pas à faire du cinéma engagé, car il ne prêche souvent que des convaincus! Je préfère le cinéma populaire, le grand spectacle, qui va toucher tous les publics et peut-être réveiller chez eux des interrogations. C’est ce que j’aime dans les romans de Pierre: ils sont riches mais accessibles, profonds, mais jamais ennuyeux. J’espère que mon film est comme ça: généreux, intelligent, divertissant, spectaculaire! Le cinéma quoi!

«Couleurs de l’Incendie», de Clovis Cornillac. Au cinéma le 9 novembre.