«Beaucoup de familles s’en sortent très bien sans voiture!»

MOBILITE • Notre interview de la présidente du PLR Lausanne Mathilde Maillard (lire Lausanne Cités du 27.10.22) sur la circulation en ville a suscité une pluie de réactions. Dont notamment celle de l’historien lausannois Grégoire Gonin. Il estime que l’élue a une vision passéiste de la mobilité.

Lausanne Cités: Que reprochez-vous aux propos de la présidente du PLR Lausanne, Mathilde Maillard?

Grégoire Gonin: D’ignorer l’histoire de la voiture et celle de son parti, faisant plutôt penser à l’ex-parti des automobilistes. Les radicaux bâtisseurs de la Suisse moderne de 1848 se retrouveraient davantage dans le PS réformiste de 2022 que dans ce conservatisme. C’est le Conseil d’Etat radical qui en 1920 interdit la circulation le dimanche dans le canton. En 1979, le radical Claude Frey crée à Neuchâtel le premier centre-ville piéton de Suisse. En pleine guerre froide et au cœur des Trente Pollueuses, Gilles compose un dialogue fantastique, «Ça fonctionne» (1969). L’administration veut imposer un permis pour piétons, ces «sauvages» qui «nous ramènent en plein Moyen Age», «des vrais communistes». Le libéralisme dogmatique du PLR et son fantasme d’un bolchevisme vert mettent au même niveau droit à la voiture et droit de vote.

Donc vous estimez que la circulation à Lausanne n’est pas infernale?

L’adjectif insulte les victimes d’une vraie guerre. Cela dit, elle l’est, mais à qui la faute? La moitié des trajets plafonnent à trois kilomètres. Les conducteurs ne sont pas pris dans les bouchons, ce sont eux qui les créent. Ils pourraient utiliser les bus ou des vélos électriques. Depuis 1900, la voiture – aujourd’hui le SUV, qui a éclipsé l’utopie de la Smart – a tué la ville et la vie dans la rue, écrasant bétail, enfants, piétons, vélos. Aujourd’hui, la lutte des classes est aussi écologiste. Ceux qui ne consomment ni voiture, ni avion, ni viande subissent les conséquences d’actes «infernaux» pour la planète.

Il y a tout de même des gens qui ne peuvent pas se passer de la voiture. Les commerçants, les familles et ceux qui habitent la campagne vaudoise, non?

Les négociants doivent accéder à leurs enseignes à certaines heures. La plupart des familles que je connais vivent sans voitures. Pourquoi s’en sortent-elles très bien ainsi et pas les autres? Quid des vélos-cargos? Quant aux «rurbains», il s’agit de relocaliser l’économie à l’échelon du district, en soulignant aussi le boom de l’offre en transports publics.

Quelles sont vos solutions pour apaiser la tension croissante entre les usagers de la route?

Relire «L’idéologie sociale de la bagnole» (1973), d’André Gorz, la réflexion la plus puissante sur le sujet. A l’ère du chaos environnemental, retrouver du collectif, partager les objets et décoloniser les imaginaires désuets de l’auto: liberté, vitesse, modernité, puissance, virilité. Dégager de toute voiture les lignes de bus et organiser un service de livraison à domicile par les commerçants pour les achats volumineux.