Alexandra Conunova: «Il faut démocratiser la musique classique!»

MUSIQUE • Violoniste virtuose d’origine moldave, la Lausannoise Alexandra Conunova aura marqué les esprits lors de la pandémie en jouant sur son balcon. Entretien avec celle qui sera accompagnée de l’OSR le 9 mars prochain au Théâtre de Beaulieu.

Lausanne Cités: On a beaucoup parlé de vous pour les concerts que vous donniez depuis votre balcon durant la pandémie. Vous déclariez alors que la musique pouvait sauver des âmes…

Alexandra Conunova: Tout à fait. Cette pandémie nous a isolés, enfermés. Pour l'être humain, par essence social, ça a été une immense catastrophe. La première fois que je suis sortie avec mon violon sur mon balcon pour jouer «La Méditation de Thaïs», j’ai eu l’impression de recréer du lien, de faire une prière commune. La musique a relié les gens, illuminé leurs âmes, et la mienne aussi. C’est souvent son rôle d’ailleurs...

Vous écoutez autre chose que du classique?

Non seulement j'écoute d’autres choses, mais je joue d’autres choses aussi! Et j’adore le karaoké! Quand j’étais petite, avant de commencer le violon, je voulais être soit danseuse, soit chanteuse. J’ai laissé tomber la danse, mais je chante toujours. J’aime autant le jazz que la pop ou l’opéra, qui était très présent à la maison dans mon enfance. Ces temps-ci, j’essaye d’improviser sur du jazz. Dans le classique, on est beaucoup dans le perfectionnisme inaccessible. Le jazz, l’improvisation, c’est tellement naturel que même si on fait une erreur, on découvrira un autre chemin, peut-être tout aussi beau. C’est vraiment de l’exploration pour moi.

C’est vrai qu’il y a ce côté élitiste dans la musique classique. On a souvent l’impression qu’elle est intouchable. Comment la rendre plus accessible?

Il faut démocratiser la musique classique. Pour attirer les nouveaux publics, les jeunes, je pense qu’il y a deux étapes: le partage, l’apprentissage, donner la chance de découvrir, de pratiquer la musique, les instruments. Quand j’emmène mes enfants au musée ou à un concert, je leur raconte la vie du compositeur, pourquoi cette musique a été écrite. Je leur fais écouter des choses qui ne sont pas toujours faciles pour développer leur curiosité. Les musiciens doivent aussi aller vers plus de versatilité, d’ouverture, oser sortir des territoires connus, s’appuyer sur d’autres arts pour partir à la rencontre du public, comme ce que j'ai fait l'année dernière avec une collaboration avec le Français Philippe Beau et ses ombres chinoises…

Ce qui est fascinant avec le violon c'est sa capacité d’adaptation… classique, viennois, tzigane, jazz, country, blues, bluegrass, musiques folkloriques… on le retrouve même dans les musiques cubaines! C’est pour cette raison que vous avez choisi cet instrument?

Non, la raison est beaucoup plus terre à terre. Je viens d’un pays de l’ex-Union soviétique. Si vos parents font de la musique, vous ferez de la musique. Si papa est violoniste, alors la jeune fille sera aussi violoniste. Et on doit toujours, en plus, chanter dans le chœur et faire un instrument complémentaire, donc jusqu'à mes 18 ans, j'ai fait aussi du piano, à très haut niveau.

J’ai lu que vous jouiez sur un violon un peu particulier, qui date du 18ème siècle, c’est juste?

Oui, c’est un Guadagnini de 1735.

Pour les non-initiés, jouer sur un violon si ancien, cela apporte quoi?

Guadagnini était un luthier italien extraordinaire. Il a fabriqué ce violon dans les dernières années de sa vie. Comme les meilleurs vins, le bois est un organisme vivant, qui mûrit, se bonifie, se modifie, évolue avec le temps, qui garde en mémoire les mélodies jouées sur lui. Alors imaginez, plus de trois cents ans d’histoire!

Vous vous produirez avec l’OSR, le 9 mars prochain à Beaulieu, sous la direction de Jonathan Nott. Parlez-nous du programme de ce concert…

Je vais notamment jouer le «Concerto pour violon et orchestre en mi mineur op. 64» de Mendelssohn, qui est à mon avis un tube incontournable que la plupart des gens reconnaîtront. Au début, j’hésitais un peu car je trouvais qu'il avait été trop joué, trop entendu. Et puis en travaillant l’œuvre, je l’ai redécouverte, elle est d’une richesse incroyable. J’ai hâte de pouvoir la partager sur scène.

Est-ce que vous n’avez pas l’impression aujourd'hui que la musique classique est plus accessible au grand public?

Il y a de magnifiques initiatives qui vont dans ce sens. A Lausanne, l’OSR et l’Opéra font un super travail pour s’ouvrir vers de nouveaux publics! Sur les réseaux sociaux, on voit de plus en plus de musiciens qui ont des comptes Tik Tok, et qui rencontrent un succès fou. J’ai un ami qui a transposé toute la musique de Mario Bros pour orchestre symphonique. Renaud Capuçon a aussi sorti un album avec des reprises de musiques de films…

Quelle porte d’entrée conseillez-vous pour accéder aux merveilles de la musique classique?

Il faut oser franchir les portes de l’église St-François, qui organise vraiment beaucoup de concerts, mais aussi de l’Opéra, qui propose des tarifs très accessibles, ou bien venez le 9 mars à Beaulieu! Et tout simplement, lancez une playlist «classique» sur Spotify: c’est hyper efficace et on est vite accro!

En concert avec l’OSR le 9 mars 2023 au Théâtre de Beaulieu à Lausanne