«On perd parfois un temps très précieux à négocier pour qu’ils acceptent de nous suivre à l’hôpital.» François, ambulancier au Service de protection et sauvetage
Nous sommes samedi, il est 22 heures et l’ambiance n’est pas à la fête sous les néons des urgences du CHUV. «Nous vous amenons un OH non collaborant que nous venons de récupérer à la gare de Lausanne», clame François, ambulancier au Service de protection et sauvetage Lausanne, à sa collègue des admissions de l’hôpital universitaire. OH, l’abréviation chimique de l’alcool. Le mot de code utilisé par le personnel soignant pour désigner un patient dont la vie est en danger suite à un excès de boisson.
Pas de cas complexes
Sur le brancard, un homme, le pantalon trempé, qui explique que sa vie s’est effondrée et qu’il a pensé mettre fin à ses jours. Il faudra donc vérifier que l’alcool est le seul mal dont il souffre, le changer, puis le présenter à un psychiatre d’urgence. La nouvelle unité de dégrisement n’a pas vocation à recevoir des cas complexes. Ce patient sera pris en charge dans les urgences, accompagné d’un agent de sécurité. «L’unité de dégrisement reçoit des patients présentant une alcoolisation aiguë, mais les blessures physiques ou psychiques sont d’abord traitées aux urgences», explique Ludovic, ambulancier depuis 18 ans. Voilà pourquoi les urgences restent particulièrement chargées par ces fameux OH Certains sont admis directement à l’unité d’alcoologie d’urgence, d’autres y sont transférés après que leur état a été stabilisé aux urgences.
Interventions délicates
Quelques heures plus tard, entre un infarctus, une chute d’enfant et quelques appels de personnes âgées, le 144 est prévenu par la police d’une chute d’une dame d’un balcon. Sur place, une femme se tient debout, ensanglantée, mais totalement anesthésiée par l’alcool. Elle explique avoir voulu quitter un repas entre amis par le balcon, afin de rentrer plus vite chez elle. Au moment de l’allonger sur la civière et de lui poser une minerve, les ambulanciers doivent insister pour qu’elle coopère. «C’est le problème avec les OH, on perd parfois un temps très précieux à négocier pour qu’ils acceptent de nous suivre à l’hôpital», chuchote François. Entre impossibilité de forcer les patients de les suivre et obligation de les protéger d’eux-mêmes, le dilemme nocturne des ambulanciers aurait de quoi désespérer même les plus fins psychologues.
Au final, la force de persuasion de François et Ludovic a triomphé et la patiente sera prise en charge par les urgences quelques minutes plus tard. Elle ne passera pas non plus par les lits de l’unité de dégrisement, ses blessures devant être vues par un médecin.
Evaluation périlleuse
Plus tard dans la nuit, une ambulance sera appelée devant un bar de Renens où un jeune homme allongé ne répond plus aux passants inquiets. Sur place, les ambulanciers hésitent. Mis à part quelques difficultés à garder son repas dans son ventre, le patient ne semble pas en danger. «Vous habitez dans la région? Nous pourrions vous ramener quelque part ? Il y a quelqu’un chez vous ?» Quelques questions qui n’aboutiront à rien. Manifestement le jeune adulte, pourtant sur son trente-et-un, est sans domicile fixe. Il finira sa nuit dans la nouvelle unité de CHUV.
Malgré ses critères d’admissions, l’unité d’alcoologie d’urgences admet donc quelques patients, soustraits à une admission aux urgences, chaque week-end. Plus que le désengorgement des urgences toujours très fréquentées par des personnes éthilysées, la réussite de cette nouvelle unité réside probablement dans un meilleur suivi des jeunes qui s’alcoolisent avec l’espoir de leur faire arrêter leur consommation excessive. Car même s’il ne s’agit que d’une minorité de cas, la part des jeunes fortement alcoolisés aux urgences est en hausse.