«Ma fierté? Venir en aide à ceux qui sont dans le besoin»

Les derniers chiffres de l’Office fédéral de la statistique donnent Lausanne quasi-championne suisse de l’aide sociale. Chef du service social de la Ville, Michel Cornut réfute ces chiffres, déformés par plusieurs biais. Sans nier pour autant le nombre important des bénéficiaires, le fonctionnaire livre une analyse systémique de la situation et définit les contours de sa «mission».

  •  Michel Cornut, chef du Service social de la ville de Lausanne. verissimo

    Michel Cornut, chef du Service social de la ville de Lausanne. verissimo

«L’aide sociale est inévitable dans une économie mondialisée»

Les récents chiffres de l’Office fédéral de la statistique (OFS) donnent Lausanne quasi championne de l’aide sociale en Suisse avec 10% d’assistés, juste après Bienne...

Nous contestons ces chiffres parce qu’ils prennent l’ensemble des personnes qui ont émargé à l’aide sociale ne serait-ce qu’un seul mois de l’année. Si on appliquait cette méthode au chômage, la Suisse ne serait pas très loin derrière la Grèce ou l’Espagne!

En quoi cela biaise-t-il les chiffres lausannois de l’aide sociale par rapport aux autres villes suisses?

Lausanne connaît un turn-over très important: plus d’un tiers de la population assistée se renouvelle chaque année, ce qui rend les comparaisons difficiles. Ce turn-over s’explique par l’importance des mouvements dans la population générale, assez spectaculaire, mais aussi par l’importance de la population étrangère. Enfin, Lausanne a été la seule ville romande à participer à l’Initiative des villes pour la politique sociale qui a publié les chiffres de l’OFS. Lausanne s’est exposée en participant à cette initiative, alors que les bénéficiaires de l’aide sociale sont par exemple plus nombreux à la Chaux-de-Fonds. Au final, j’affirme que le taux lausannois réel est dans la moyenne des villes romandes.

Mais ce taux reste tout de même élevé!

Oui, et je ne le conteste pas. L’aide sociale est désormais indispensable dans une économie mondialisée et très ouverte à la concurrence. Dans ce système, une part de la population non qualifiée n’a que peu de chances d’intégrer le marché de l’emploi. Le canton de Vaud a par exemple créé 17’000 emplois ces deux dernières années, qui ont été pourvus... par de nouveaux arrivants, plus qualifiés que nos bénéficiaires de l’aide sociale. C’est un constat structurel: les bénéficiaires non qualifiés ont affaire à forte partie, alors que la tendance économique est par exemple à exclure les plus âgés. Enfin, je rappelle qu’avec les réformes de l’AI et de l’assurance chômage, un report de charges s’opère de la Confédération en direction des cantons et des communes.

Certains disent qu’à Lausanne, la politique d’octroi de l’aide sociale est trop généreuse, pour ne pas dire trop laxiste...

Ceux-là ne peuvent que se tromper: c’est le canton, et non la ville de Lausanne qui détermine les conditions d’accès à l’aide sociale, à la différence de la Suisse alémanique où ces prérogatives sont communales. J’ajoute que nous sommes contrôlés très régulièrement par des audits de l’Etat.

Il n’y a donc pas «d’appel d’air» en direction des assistés?

Non, si l’on considère le régime d’octroi de l’aide. Mais Lausanne compte quasiment la moitié des logements subventionnés du canton, et cela peut jouer un rôle.

La Ville fait-elle néanmoins ce qu’il faut pour lutter contre les abus?

Certaines personnes, entre 2 et 4% vraisemblablement, touchent indûment l’aide sociale, c’est un fait, mais il n’y a probablement pas plus de fraudes que dans les autres assurances. Lorsque nous les découvrons, nous déposons systématiquement une plainte pénale et demandons la restitution des sommes allouées. En outre, si quelqu’un ne met pas tout en œuvre pour retrouver son autonomie, l’aide est réduite. Tout est donc fait pour maîtriser ce risque. Mais je tiens à ajouter: l’aide sociale est un régime essentiel de la sécurité sociale en Suisse. Et le fait qu’une personne sans ressources puisse être aidée, et qui plus est rapidement, est une fierté. Sinon, nos villes arboreraient les mêmes mendiants et autres indigents que bien d’autres cités européennes. Ce qui est préoccupant en réalité, c’est qu’un aussi grand nombre de personnes soient exclues du marché du travail.

Et que faites-vous pour ces personnes?

Depuis 2010, nous nous sommes complètement réorganisés pour donner aux assistants sociaux un mandat clair de réinsertion professionnelle. Nous menons une collaboration étroite aves l’office régional de l’emploi, l’une des meilleures de Suisse à vrai dire. Sans compter d’importantes mesures de réinsertion et de cours, allant de la simple alphabétisation à des formations qualifiantes. Le tout avec un accent particulier sur les jeunes.

Ces efforts sont-ils payants?

Une personne sur deux qui participe à ces mesures parvient à trouver un emploi.C’est très encourageant.

Tout de même, avec l’important turn-over que vous mentionniez, ces efforts ne sont-ils pas systématiquement réduits à néant?

Nous ne pouvons pas réduire la longueur de la file d’attente sur le marché de l’emploi, mais nous pouvons changer l’ordre de cette file, redonner des chances à davantage de personnes. C’est déjà énorme.

Comment risque d’évoluer cette problématique au cours des prochaines années?

La question est appelée à se généraliser, la demande d’aide sociale tendant à se déplacer vers les régions périphériques. Même si je pense que l’on va vers une stabilisation de la proportion de personnes aidées, il faudrait que l’on développe une approche plus systémique de l’économie et de la société, agir plus sur les causes et pas seulement sur les effets. Et se demander comment remettre au centre de la politique, la question globale de l’intégration et de la cohésion sociale.