La reconnaissance musulmane avance en rangs divisés

- Plusieurs associations musulmanes envisagent une demande de reconnaissance commune, hors des sentiers de l’UVAM.
- Elles ne souhaitent pas se joindre à l’union faîtière vaudoise pour des raisons doctrinaires.
- Cette dernière se défend des accusations dont elle est victime et clame sa volonté d’ouverture.

  • Les musulmans vaudois sont pour l’heure désunis. istockphoto

    Les musulmans vaudois sont pour l’heure désunis. istockphoto

«Nous sommes ouverts aux chiites s’ils souhaitent se joindre à nous.» » Pascal Gemperli, président de l’UVAM

C’était au tout début du mois de janvier. Deux jours seulement après les attentats de Paris. Pascal Gemperli, président de l’Union vaudoise des associations musulmanes (UVAM), disait toute sa consternation après le massacre de Charlie.

Et tout le risque que cet événement allait faire courir sur le processus en cours au sein du monde musulman vaudois: une demande officielle de reconnaissance en tant que communauté religieuse d’intérêt public.

Une démarche qui devait être initiée ce printemps, à une date qui reste encore à fixer, et qui n’aurait pas la même portée que celle des protestants et des catholiques, mais équivaudrait à ce dont dispose la communauté israélite depuis une loi adoptée en 2007.

Communautés divisées

Seulement voilà! Si l’UVAM est actuellement la seule union d’associations musulmanes présente dans le canton de Vaud, plusieurs autres mosquées peuplent le paysage vaudois sans y être fédérées.

Celle de Lausanne d’abord, la plus connue et la plus ancienne sur sol vaudois. Mais aussi de plus jeunes communautés, comme le Centre culturel islamique d’Yverdon (CCIY) ou encore l’Association socio-culturelle musulmane du Chablais (ASCMC) installée à Aigle. Ces deux dernières, âgées de deux et trois ans, ne remplissent pas, à elles-seules, les conditions minimum nécessaires à une reconnaissance qui stipule que la communauté soit installée depuis au moins 30 ans dans le canton et qu’elle représente 3% de sa population.

Comme c’est le cas pour la mosquée de Lausanne du reste, installée depuis 1977, et forte de 3000 membres. Dans deux ans, elle fêtera donc ses 40 ans dans la capitale vaudoise. De quoi abaisser le nombre minimum de ses adhérents à 1% de la population. Cela équivaudrait à environ 7 000 membres, un chiffre que Bassam Degerab, son porte-parole, considère atteignable.

Reconnaissance conjointe

Une autre solution serait néanmoins envisageable, tout en permettant à d’autres mosquées, comme celles du Chablais et d’Yverdon, de ne pas rester hors-course: la demande de reconnaissance conjointe.

Bassam Degerab souligne que la mosquée de Lausanne pourrait se joindre aux mosquées du Chablais et d’Yverdon, entre autres, pour une demande de reconnaissance. «L’initiative ne vient pas de nous, mais d’autres centres qui se sont sentis mis à l’écart et ont évoqué cette option. Nous nous sommes dit: pourquoi pas?»

Actuellement, tout cela n’en est qu’au stade d’analyse. «Nous devons connaître les particularités de chaque centre et entrevoir sous quelle forme cela pourrait se faire.»

De son côté, Inhab Ajundi, qui préside l’ASCMC, confirme: «l’idée est là, mais nous devons en discuter et tâter le terrain avec les autres mosquées. Cela nous permettrait de profiter de la loi sur la reconnaissance», même si cela ne le dérange pas d’attendre de remplir les conditions nécessaires s’il le faut.

Obligation de se fédérer

Concrètement, pour qu’une telle démarche ait ses chances d’être acceptée par le canton, les différents centres devront créer une fédération, avec ses propres statuts, indique Eric Golaz, délégué aux affaires religieuses du canton de Vaud. «Elles devront se présenter en disant en quoi leur communauté consiste et expliquer pourquoi elles se présentent de façon séparée.»

Et se joindre à l’UVAM afin de faciliter le processus? Ceci n’est pas à l’ordre du jour, ni à l’ASCMC, ni au CCIY. Quant à la mosquée de Lausanne, elle a également toujours refusé de s’y joindre. Pourquoi, alors qu’à priori cela leur faciliterait la tâche ?

Des questions de doctrine

Pour Bassam Degerab et Samir Memedov, président du CCIY, le refus de se joindre à l’UVAM tient en partie de raisons doctrinales. Concrètement, ils affirment que les membres de l’UVAM suivent la doctrine wahhabite, héritée du théologien musulman Ibn Taymiyya (13-14ème siècle). Selon Bassam Degerab, cette idéologie peut être «utilisée pour légitimer la violence au nom de la religion».

Une affirmation totalement réfutée du côté de l’UVAM. Pascal Gemperli s’insurge: «Nous sommes très critiques par rapport à cette doctrine et un tel courant serait totalement contraire aux principes de l’UVAM. Ces accusations devraient au moins être accompagnées de preuves!»

La deuxième raison de l’insuccès de l’UVAM aux yeux de certaines communautés musulmanes se trouve dans ses statuts et son organisation. Bassam Degerab et Inhab Ajundi voudraient que l’UVAM clarifie la position de ses membres. Un point récemment revu du côté de l’union faîtière. Il donne à présent le droit de vote à ses membres dits «associés», mais conserve toutefois des différences entre catégories de membres.

Inhab Ajundi mentionne enfin un autre point: «Le fait que l’UVAM se présente comme association ouverte, mais que tous ses membres soient d’obédience sunnite est une incohérence. Il faudrait clarifier cela..»

Pourtant, Pascal Gemperli se défend de vouloir fermer les portes à d’autres écoles: «Nous possédons déjà plusieurs traditions et courants religieux ou culturels au sein de l’UVAM, même si tous nos membres sont sunnites. Nous sommes ouverts aux chiites par exemple s’ils souhaitent se joindre à nous.»