La menace qui nous guette? Les réfugiés climatiques!

- Le flux migratoire auquel l’Europe doit faire face ne pourrait être que le prélude d’un phénomène plus important.
- Après les réfugiés politiques, ce sont les réfugiés climatiques qui pourraient déferler sur l’Europe ces prochaines décennies.
- A un mois du Sommet de Paris sur le climat, le philosophe et professeur à l’Université de Lausanne, Dominique Bourg, décrypte ce phénomène.

  •  Pour Dominique Bourg, la dégradation des conditions climatiques demande des mesures fortes et urgentes. DR

    Pour Dominique Bourg, la dégradation des conditions climatiques demande des mesures fortes et urgentes. DR

«Qui descend dans la rue pour le climat? Personne...ou presque! Les citoyens s’en foutent. »

Lausanne Cités: Récemment, le Secrétaire d’Etat américain John Kerry laissait entendre que le réchauffement climatique menaçait la sécurité mondiale et avait déjà attisé des crises comme celles des réfugiés en Europe ou le conflit syrien. Dit-il vrai?

Dominique Bourg: La problématique de l’eau est connue dans cette région du monde et le climat a pu jouer sur certaines récoltes. Au-delà des événements que nous connaissons, il n’est donc pas complètement absurde de dire que des facteurs climatiques jouent aussi dans l’actuel chaos qui touche le Proche-Orient et contribuent ainsi à l’exode des populations.

Cette réalité est-elle aussi valable sur d’autres zones de conflit de la planète?

Oui, pour exemple, on estime aussi que l’expansion du groupe Boko Haram, dans le nord est du Nigéria, est liée à cette problématique. Dans les décennies qui viennent, un entrelacs entre des facteurs climatiques et des facteurs guerriers vont avoir pour conséquences d’importants déplacements de population. Récemment, l‘historien Timothy Snyder, qui est un grand connaisseur du nazisme, laissait entendre que la quête pour la domination des Allemands, qui était fondée sur le déni de la science, avait poussé Hitler à avoir une solution de rechange qui était l’idée d’espace vital. L’Allemagne avait besoin d’un empire européen à l’Est parce que seule la conquête, et non l’amélioration des rendements agricoles, offrirait la possibilité de nourrir le peuple allemand. Le phénomène n’est donc pas nouveau. Aujourd’hui, autres exemples, la Corée du sud, l’Arabie Saoudite et plus encore la Chine achètent des terres, essentiellement en Afrique, pour assurer leur approvisionnement à terme. Un des impacts du climat sera donc des tensions croissantes sur la production de nourriture. Ainsi depuis 2007, il n’y a pratiquement pas un été sans que nous ayons une région céréalière très productive qui ne soit atteinte par une sécheresse avec une baisse des récoltes entre 20 et 40%...

Le climat sera donc la guerre de demain...

Oui, sans aucun doute! Les conséquences de la détérioration des conditions climatiques vont se mesurer sur un temps extrêmement long, mais certaines pourront être brutales. On peut les mesurer aujourd’hui déjà avec des événements extrêmes, et de plus en plus répétitifs, comme les ouragans, les tornades ou les tremblements de terre. D’autres, comme la montée des mers ou la salinisation des nappes côtières prendront plus de temps. Dans tous les cas, elles ne resteront pas sans conséquences pour nous.

Avec, demain, le risque de voir déferler des réfugiés climatiques en Europe?

Aujourd’hui, les réfugiés climatiques sont essentiellement des personnes qu’on déplace à l’intérieur d’un même pays. Mais à terme, la base physique de leur territoire va se réduire comme peau de chagrin. C’est par exemple le cas des îles du Pacifique ou des Maldives. Que les bases physiques d’un pays disparaissent, c’est un phénomène qui n’a jamais existé auparavant. Mais quand nous serons au cœur de la réalité qui nous attend, d’ici quelques décennies, la problématique va changer. Ces déplacés deviendront des réfugiés et ce n’est pas impossible qu’on ait des mouvements migratoires gigantesques. N’oubliez pas qu’aujourd’hui déjà, chaque an- née, plus de 20 millions de personnes déménagent pour des raisons climatiques alors que nous ne sommes qu’au tout début du changement climatique...

On a le sentiment que les Etats ne prennent pas vraiment conscience de ce danger?

C’est vrai. D’abord parce qu’on a affaire à des Etats néo-libéraux qui sont essentiellement des facilitateurs du commerce international. S’occuper du climat ça les rend schizophrènes. De plus, ils ne contrôlent plus du tout les manettes de la finance. Ils ne contrôlent plus rien. Les très grandes banques maîtrisent des flux financiers dix fois supérieurs aux PIB des Etats. Ensuite, parce qu’il n’y a qu’une petite part des citoyens qui les poussent à changer de politique. Qui descend dans la rue pour le climat? Personne...ou presque! Les citoyens s’en foutent.

Ce qui veut dire que le combat est inutile?

Non, tout ce qu’on gratte est bon. Mais pour l’heure, on ne fait que gratter dans une innocence et une inconscience incroyables. Les gens pensent que les problèmes sont pour la fin du siècle. Ils rêvent. En Sibérie, comme en Alaska, le permafrost se réchauffe sur des dizaines de mètres de profondeur et les bulles de méthane qui y sont enfermées se libèrent sous l’effet du réchauffement dans l’atmosphère, des rafales de plus de 370 km/h ont été enregistrées au Vanuatu, des cyclones remontent dans le Nord, il y a plein de signaux qui démontrent que le danger est aujourd’hui bel et bien là.

Début décembre, la conférence de Paris sur le climat, la COP 21, va ouvrir ses portes. Que devraient faire ses participants pour qu’on change enfin de cap?

Mettre le paquet! La COP 21 s’est donné pour but d’aboutir à un nouvel accord international sur le climat, applicable à tous les pays, dans l’objectif de limiter le réchauffement mondial à 2 °C et de dégager 100 millards chaque année pour cela. Elle doit donc prendre des mesures qui montrent qu’on est vraiment dans une course, soit réduire notre niveau de consommation, et pas seulement au niveau des énergies, développer les énergies renouvelables, légiférer sur le low cost aérien qui est une honte ou encore y instaurer une taxe carbone. Là on commencerait à entrer dans une autre dynamique.