«En un mois, le patient recouvre ses fonctions visuelles»
Dr Muriel Catanese
Dans la lumière tamisée du bloc opératoire, la chirurgienne, yeux rivés sur son microscope, s’affaire sur un patient endormi, les paupières d’un œil écartées. Au-dessus, deux grands écrans permettent de suivre l’intervention en gros plan.
Nous sommes à l’hôpital Jules-Gonin de Lausanne, grand pôle de compétence suisse en matière d’ophtalmologie. Et, à défaut d’être complètement historique, l’événement représente une première médicale en Suisse romande. Véritable virtuose du scalpel, la doctoresse Muriel Catanese, spécialiste en cornée et chirurgie réfractive, œuvre à greffer une nouvelle cornée à un patient âgé qui n’y voyait presque plus.
Une demi-heure plutôt, le greffon était arrivé en provenance de la Banque des yeux de l’hôpital. Il est 13h30 et la doctoresse, méticuleuse, vérifie minutieusement son état. Elle le colore à l’aide d’une substance violette, procède à une découpe en périphérie, puis décolle un mince film, de 8 mm de diamètre sur 15 microns à peine d’épaisseur qui tapissait sa face intérieure: c’est l’endothélium, la couche la plus profonde de la cornée, destiné à être implanté au patient. Cette technique révolutionnaire, appelée DMEK permet une récupération plus rapide du patient et se susbstitue désormais aux greffes complètes de cornées dites transfixiantes.
Comme du papier à cigarette
Dans l’intervalle, le patient a été préparé, puis endormi. L’intervention proprement dite commence. Avec des gestes précis et sûrs, la chirurgienne procède à de microscopiques incisions autour de la cornée du malade. La cornée étant un organe non vascularisé, il y a très peu de sang.
Ensuite, elle pèle délicatement puis retire l’endothélium malade, comme lorsque l’on gratte la face intérieure d’une loupe. L’œil est désormais prêt à recevoir le greffon. Celui-ci, enroulé sur lui-même comme du papier à cigarette, est aspiré à l’aide d’une seringue puis injecté dans l’œil. Comme il a été coloré au préalable, on l’identifie aisément.
Et c’est là que commence le plus difficile. Enroulé sur lui-même à l’intérieur de l’œil, il faut désormais déployer, déplisser en quelque sorte le greffon pour qu’il se colle dans la face antérieure de la cornée du patient. Délicate, cette manœuvre peut prendre 15 minutes comme une heure. Question de chance, question d’âge du donneur (plus celui-ci est jeune, plus le greffon sera «élastique» et difficile à déployer), question d’habileté du médecin aussi.
Toujours est-il que cette fois-ci, l’affaire est pliée en moins d’un quart d’heure, et le greffon déplié et positionné dans le bon sens. Une bulle d’air est ensuite injectée dans l’œil pour fixer le greffon. Elle mettra une journée à se résorber, imposant au patient de rester couché strictement à l’horizontale durant au moins 48 heures. À 14h30, tout est terminé, et le patient peut quitter le bloc. «Si tout se passe bien, explique Muriel Catanese, la récupération visuelle devrait être complète d’ici un mois! Même si le risque est minimal, le patient devra néanmoins recevoir un collyre anti-rejet durant une année, à titre préventif».
Alors, magique, cette nouvelle technique de greffe de cornée? Certainement! La technique est éprouvée, les résultats excellents ce qui est très encourageant à une période où le vieillissement de la population conduit à un nombre croissant de maladies de la cornée.
Seulement voilà, l’enjeu est ailleurs. Il n’est pas technique, mais... sociétal et culturel.
En Suisse, on manque en effet de donneurs et à l’heure actuelle 120 personnes sont dans l’attente d’une greffe à Lausanne. Une liste qui ne se résorbera qu’au prix d’un changement de mentalités.