Etudiante syrienne indésirable en Suisse

PERMIS PROVISOIRE • D’origine syrienne, professeure d’université retraitée, une Lausannoise souhaite accueillir sa nièce pour études. Particulièrement brillante, la jeune fille vit calfeutrée chez elle en raison de la guerre qui décime la Syrie. En dépit d’un préavis favorable du canton de Vaud, Berne vient d’opposer son veto.

  •  Damas, une capitale en grande partie dévastée qui rend les études impossibles. DR

    Damas, une capitale en grande partie dévastée qui rend les études impossibles. DR

  •  La jeune étudiante. DR

    La jeune étudiante. DR

Quand tout s’écroule, ne reste bien souvent que la solidarité familiale. Et il arrive parfois que cette solidarité puisse s’exprimer chez nous ici, à Lausanne, alors qu’à des milliers de kilomètres, un drame décime un peuple entier. Longtemps havre de stabilité, la Syrie est en effet devenue le théâtre d’une guerre civile où les victimes innocentes ne se comptent plus.

Âgée d’une vingtaine d’année, Julie* fait partie de ceux qui ont eu la chance de survivre, mais qui ne vivent pas pour autant. Gymnasienne brillante, elle a obtenu son baccalauréat avec 97% du score maximal. La pharmacie familiale a été détruite par les bombardements, et Julie se morfond chez elle, au sens propre, depuis une année. Et pour cause: en Syrie, les jeunes filles qui osent s’aventurer dans la rue terminent au mieux violées, au pire kidnappées et assassinées.

Démarches en Suisse

Sauf que pour Julie, un autre avenir est possible, ici en Suisse et pour quelques années. Citoyenne suisse depuis 27 ans et établie dans l’agglomération lausannoise, sa tante jouit d’une retraite bien méritée, après avoir travaillé durant plusieurs décennies à la faculté de médecine et de biologie de l’Université de Lausanne, comme maître d’enseignement et de recherche, au sein du Département des neurosciences fondamentales.

Pour cette chercheuse et enseignante, qui a formé des générations entières d’étudiants, voir sa nièce, au demeurant douée pour les études, gaspiller de précieuses années de sa vie, est intolérable.

L’universitaire décide alors de prendre le taureau par les cornes. Elle entame d’interminables formalités pour inscrire sa nièce à l’Université de Lausanne, et réunit toutes les pièces exigées par une bureaucratie aussi tatillonne qu’inquisitrice.

Et ses efforts finissent par payer. En mars dernier, l’immatriculation à la faculté de biologie et de médecine de l’Université de Lausanne est enfin acquise. Dans la foulée, le canton de Vaud délivre un préavis favorable pour une autorisation de séjour pour études.

Il faut dire que le dossier est particulièrement solide: la tante et son époux, sans enfants et jouissant d’une très confortable retraite, s’engagent à prendre en charge financièrement leur nièce. Une nièce qui a d’ailleurs signé un engagement formel à quitter la Suisse à l’issue de ses études, et qui a fait la preuve d’un cursus d’études irréprochable.

Seulement voilà: la logique administrative et la réalité d’une Suisse taraudée par les questions migratoires finissent par rattraper les projets les mieux ficelés. Car la décision du Secrétariat d’Etat au Migrations à Berne (SEM), vient de tomber: c’est niet, en vertu des dispositions de la loi fédérale sur les étrangers.

Et l’examen des motifs invoqués a de quoi laisser songeur, l’institution s’abritant pour l’essentiel derrière «le large pouvoir d’appréciation» que lui confère la loi. Plus étonnamment, le SEM s’interroge sur «l’opportunité d’entreprendre en Suisse les études envisagées», et en raison de l’origine de la postulante, de l’impossibilité de pouvoir un jour «procéder à un rapatriement sous contrainte».

Une prise de position pour le moins schizophrène, la Suisse admettant de nombreux requérants d’asile en provenance de Syrie à cause de la guerre qui y sévit, mais refusant les étudiants de ce même pays en raison de l’impossibilité de les y renvoyer à cause... de cette même guerre.

Recours

Quoiqu’atterrée par cette décision, la tante de l’intéressée entend bien exercer les voies de recours. «Je vais faire un recours car il s’agit de l’avenir d’une jeune fille méritante, qui je le rappelle, ne coûtera pas un centime à la Suisse. Et qui de surcroît vient d’un pays dont personne n’ignore la triste réalité!»

A la toute fin du 19ème siècle, un jeune Juif allemand débarque en Suisse pour y suivre des études, grâce à l’aide de parents fortunés. Devenu apatride, il finira même par en obtenir la nationalité en 1902. Il s’appelait... Albert Einstein.

*Prénom fictif , identité connue de la rédaction