Derrière Violier, le blues des sans-grade

  • Un métier éprouvant aux multiples stress. ISTOCK PHOTO

    Un métier éprouvant aux multiples stress. ISTOCK PHOTO

<blockquote>«Si je ferme, je ne retrouverai jamais de travail à mon âge»</blockquote> Un restaurateur anonyme

Combien sont-ils à avoir mis la clé sous le paillasson, de guerre lasse, après avoir lutté durant de longues années pour tenter de maintenir leur restaurant à flot? Nul ne le sait exactement.

Aussi étonnant que cela puisse paraître, dans notre société où les chiffres font office de religion, aucune statistique en matière de faillites d’établissements de restaration n’est disponible dans le canton. Ni la police du commerce ni les offices de faillites ni l’Office cantonal des statistiques n’ont été en mesure de nous en fournir.

«Même nous, à GastroVaud, ne les avons pas, observe Gilles Meystre, le président de l’association professionnelle faîtière vaudoise. Mais on sait qu’il y a globalement 25% de tournus par an, entre les faillites, ceux qui ferment avant d’avoir fait faillite, et les départs à la retraite sans reprise. Mais cela reste un chiffre important!»

Un chiffre important qui cache mal la réalité de ces centaines de patrons d’établissements anonymes qui, loin des sunlights, souffrent en silence tant leur métier devient ardu et incertain.

Bientôt en faillite

Jean-Philippe* en est un exemple emblématique. Ce quinquagénaire qui tient un restaurant à Lausanne et envisage bel et bien de se mettre en faillite, a en effet dû déchanter, 25 ans après avoir ouvert son établissement: «Je gagnais encore très bien ma vie il y a 20 ans. Depuis 10 ans par contre, les choses virent au cauchemar et j’ai tout essayé: changer de concept, améliorer ma carte, modifier mes horaires d’ouverture, faire de la nourriture à l’emporter, livrer à domicile. Mais rien n’y fait, depuis un an je travaille sans me verser de salaire, et je n’arrive même plus à payer mes charges! Le problème c’est que si je ferme, à mon âge, je ne retrouverai jamais de travail!»

«C’est clair, le marché connaît beaucoup de rotations, confirme Thierry Wegmüller, président de GastroLausanne. Les charges augmentent sans cesse, en particulier les salaires, tandis que les rentrées d’argent et les marges s’amenuisent. Le marché est devenu très complexe, et ça ne pardonne pas à ceux qui ne sont pas suffisamment formés».

Marché complexe

Un marché devenu complexe. C’est le moins que l’on puisse dire, tant les habitudes des consommateurs ont largement évolué (lire encadré). Mais pas seulement. Car en 20 ans, l’offre de restauration a connu une mutation sans précédent. En premier lieu, une véritable démocratisation de l’offre, de nombreux grands chefs cherchant désormais à atteindre un public plus large. Anne-Sophie Pic, qui gère les cuisines du Beau-Rivage, s’est par exemple lancée dans la restauration à domicile.

L’autre évolution est la généralisation et la multiplication des lieux de restauration. «Aujourd’hui, on peut manger quelque chose à peu près n’importe où, réagit Gilles Meystre. Les food-trucks dans chaque coin de rue, les espaces restauration dans les supermachés, sans compter internet, sont autant de concurrents directs pour les petits établissements.»

Des mutations profondes

Et puis enfin, il y a l’avènement des nouvelles technologies et des réseaux sociaux qui fait qu’au moindre faux pas, un établissement peut subir un véritable lynchage online, voyant sa réputation détruite en quelques jours. «Aucune branche n’a eu à subir autant de mutations en aussi peu de temps, résume Gilles Meystre. Cela implique une capacité d’adaptation et des savoir-faire que les petits patrons n’ont pas forcément. Il faut rénover sa carte, sentir les tendances, avoir des connaissances en gestion, en finance, en marketing, en informatique, etc. Mais je reste convaincu que les petits restos de quartier ne sont pas condamnés. Avec une carte simple, une offre courte et efficace, des produits authentiques, tout en sachant communiquer, on garde toutes ses chances. »

* Identité connue de la rédaction

Mutations dans les habitudes de restauration

Les habitudes en matière de restauration ont connu une évolution significative ces dix dernières années. Au point de bouleverser en profondeur un marché encore plus mis à mal par le franc fort et la baisse de la fréquentation touristique. Les chiffres de GastroSuisse sont à cet égard révélateurs, avec en premier lieu une explosion du recours à la restauration rapide. Entre 2005 et 2014, celle-ci a augmenté pour toutes les tranches d’âges, +88% chez les moins de 30 ans et +194% chez les plus de 50 ans!Le tout bien entendu au détriment de la restauration traditionnelle qui perd des parts de marché dans tous les âges. Et ce n’est pas tout: les horaires de consommation connaissent également un changement profond.En 10 ans, la consommation de début de journée avant 11 heures augmente de 380% tandis que la restauration entre 18h et 23h chute de 39%.