«Adieu la France, bonjour Lausanne!»

- Attiré par le rêve de l’accession à la propriété, un Lausannois s’est établi à Thonon.
- Quatre ans après, il revend son appartement et plie bagages, pour se réinstaller en Suisse.
- Témoignage emblématique d’une désillusion partagée par de plus en plus de compatriotes déçus par le rêve français.

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«Je ne reconnais plus la France» Jean-François, ancien expatrié suisse

«Vous pouvez l’écrire, car le mot n’est pas trop fort. Je suis traumatisé par cette expérience et j’en ai ras-le-bol. Je jette l’éponge et je suis content de rentrer chez moi!»

L’objet du traumatisme de Jean-François*, ce cadre lausannois âgé d’une cinquantaine d’années? Une expérience de vie en France voisine. Comme bien des Suisses, attirés par la perspective de la propriété immobilière, utopique pour la plupart des gens ici, il s’est décidé à franchir le pas il y a un peu plus de quatre ans.

En un tournemain, salaire suisse oblige, l’affaire est dans le sac, le logement trouvé, le crédit bancaire plié et voilà Jean-François, heureux propriétaire, plongé dans la vie du frontalier, rejoignant tous les jours son lieu de travail à Lausanne.

Quatre ans après, c’est la désillusion! Le logement est illico presto revendu, et le voilà qui se réinstalle à Lausanne, en Suisse, «pays qu’il n’aurait jamais dû quitter», peut-on même lire sur son mur facebook.

Désillusions

Combien sont-ils, comme lui, à avoir subi les désillusions de l’expatriation en France et à reprendre le chemin de la mère patrie? Difficile de dire si le cas de Jean-François est isolé, ou s’il représente une véritable tendance, car aucune statistique ciblée sur ce phénomène n’est disponible (lire encadré).

«Nous n’avons pas de chiffres, mais c’est vrai, nous avons pas mal d’échos de Suisses qui quittent la France pour se réinstaller en territoire helvétique», explique Laurence Coudière, chargée des relations presse au Groupement Transfrontalier Européen, l’association des transfrontaliers franco-suisses.

Comment dans ce cas expliquer que l’on puisse passer, en quelques années à peine, de l’ivresse de l’accession à la propriété à un véritable «traumatisme»?

Plusieurs éléments expliquent ce phénomène, et en premier lieu le facteur financier. «J’ai fait mes comptes, explique Jean-François. Aussi fou que cela puisse paraître, vivre en Suisse, même en y étant locataire, me revient désormais moins cher que vivre en France».

Et pour cause: en déficit budgétaire, le gouvernement français cherche l’argent là où il se trouve. Quitte par exemple à taxer sur la succession les biens détenus en Suisse par des Suisses résidant... en France. Quitte à imposer aux résidants en territoire français d’émarger désormais à la sécurité sociale française, les privant de soins en Suisse.

Mal-être français

«C’est évident observe Laurence Coudière, successions et refus de la LaMal, même si notre groupement a pu négocier une exception pour ceux qui travaillent en Suisse, ont pu faire peur et pèsent lourd dans une décision de retour».

Et ce n’est pas tout. En crise, la France fait aussi sentir son mal-être sur les expatriés suisses. «En fait, je ne reconnais plus la France où j’avais pourtant vécu il y a plusieurs décennies, déplore Jean-François. L’administration est d’une lourdeur et d’une bureaucratie incroyables. La sécurité sociale, par exemple, a perdu mon dossier. Et puis, il faut compter plusieurs mois d’attente pour un rendez-vous médical. Aux urgences avec un enfant, vous pouvez attendre une douzaine d’heures, quand il n’y a pas de grève bien sûr. Vivre en France est franchement désécurisant, d’autant que l’environnement juridique est toujours instable, avec les lois qui y changent en permanence!»

Saturation de la CGN

Et puis, phénomène que l’on ne trouve qu’à Lausanne et pas à Genève, malgré la lourdeur des embouteillages transfrontaliers que l’on y rencontre souvent, les problèmes de transport avec la saturation de la CGN. «Les trajets deux fois par jour m’ont épuisé, raconte encore Jean-François». C’était l’horreur, je n’en pouvais plus de la désorganisation et de devoir embarquer dans des bâteaux bondés, quand je ne restais pas purement et simplement à quai. Avec tout ce que cela impliquait sur mon travail!».

Et de conclure, en évoquant un facteur symbolique, mais non négligeable. «Et puis, au fond, en plus de cette qualité de vie de plus en plus déplorable, le problème, c’est que quand on est frontalier, même Suisse établi en France, personne ne nous aime. Ni d’un côté, ni de l’autre!»

*Prénom fictif

Peu de statistiques

Rien n’est plus difficile que d’obtenir des chiffres sur les tendances observées à propos des Suisses installés en France voisine. Entre ceux qui ne se déclarent pas mais y résident effectivement, ceux qui bénéficient de la double nationalité et à ce titre non recensés comme Suisses en France, difficile de faire le compte. Dans le canton de Genève, et selon des chiffres issus de divers recoupements, ils seraient environ 20’000 Suisses à être installés de l’autre côté de la frontière.

Même flou artistique à Lausanne. Ainsi, du côté du Contrôle de l’habitant de Lausanne, on affirme ne pouvoir «ni confirmer, ni infirmer une éventuelle tendance» de retour des Suisses installés en France voisine. «Nous ne tenons pas de statistiques à ce sujet, explique le chef de service Dominique Monod. En tout cas, on n’observe pas de vagues d’arrivée dans nos bureaux». Idem chez Statistiques Vaud, le service cantonal de recherche et d’informations statistiques du canton. «Nous ne suivons évidemment pas les parcours individuels des personnes, explique la cheffe de projet Léna Pasche. Une seule chose est sûre: en 2013, la France, avec 933 arrivées, est un des premiers pays de provenance des Suisses arrivant de l’étranger et s’installant dans le canton de Vaud».